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mardi 31 juillet 2012

Psychanalyse et Bouddhisme...

Un sujet distribué. Lacan, Bouddha, Varela

En novembre dernier j’ai assisté à une journée d’étude originale dans le domaine de la psychanalyse, qui proposait d’articuler philosophie, bouddhisme et psychanalyse. Elle s’intitulait « Au delà du moi, la liberté ? Psychanalyse philosophie, méditation » (lire le programme et écouter les interventions). L’initiative est venue d’une association de psychanalystes, “Jeunes&Psy“, fondée par Nicolas d’Inca, psychologue clinicien, qui tient également un blog, Psychologie et méditation. Cette journée novatrice a permis à ce lien entre bouddhisme et psychanalyse, qui existe dans les pratiques, mais sans grande visibilité, d’apparaître sur le devant de la scène et, je le souhaite, de semer quelques graines intéressantes dans la réflexion psychanalytique contemporaine. Les rigidités dogmatiques et les catégorisations solides qui découpent jusqu’à présent la psychanalyse française en écoles et en pratiques souvent stéréotypées (lacaniens, freudiens, jungiens, etc.) sont en train de se « désolidifier » et finiront, je l’espère, par se dissoudre, sous l’impulsion de propositions de ce type.
Tous les chemins ne mènent pas au bouddhisme
J’ai suivi cette journée parce que ces trois domaines me sont familiers, et que leur articulation a piqué ma curiosité. La philosophie et la psychanalyse sont des terrains que le chercheur en sciences humaines et sociales peut rencontrer aisément, soit dans son activité scientifique, soit dans son cheminement personnel, donc rien de particulier à cet égard. Mais le bouddhisme est évidemment plus rarement présent dans nos travaux, et l’on n’y vient pas comme ça. Pour ma part, j’y suis venue par les sciences cognitives, par la lecture de Francisco Varela et des théories de l’énaction. Je suis arrivée à l’énaction par la cognition sociale, dans sa version distribuée, à laquelle je suis elle-même parvenue par ma réflexion sur les processus de production du discours, me sentant à l’étroit dans les théories du contexte disponibles dans les disciplines texte-discours contemporaines, et souhaitant intégrer à mon travail la réalité matérielle et expérientielle. Voilà pour mon cheminement. Mais quel rapport avec le bouddhisme, allez-vous me dire ? J’y viens.
L’énaction est un courant qui nous vient du Chili, proposé par Varela à partir de son travail avec Humberto Maturana, biologiste et philosophe, auteur du concept d’autopoièse. L’autopoièse signifie que les systèmes vivants sont autonomes, qu’ils produisent en quelque sorte leurs propres représentations, gèrent leurs fonctionnements dans leurs environnements et produisent finalement leur existence. Cette position constitue une contestation de la cognition internaliste (ou « paradigme de l’ordinateur ») qui avance au contraire que les représentations du monde extérieur sont prédéterminées et codées dans l’esprit humain, qui fonctionne à cet égard comme un ordinateur, et qu’on ne peut connaître les objets extérieurs qu’à travers les représentations qu’on en a.
Les chemins du sujet
Varela insiste en particulier sur la notion d’émergence, qu’il emprunte à la pensée bouddhiste : selon lui, les représentations ne sont pas préalables, déposées dans des cadres (frames), mais émergent, sont « énactées » au fur et à mesure que les agents évoluent dans les environnements. Il déclare par exemple dans L’inscription corporelle de l’esprit, qui constitue une synthèse de la question élaborée avec Eleanor Rosch et Evan Thompson que « la cognition, loin d’être la représentation d’un monde prédonné, est l’avènement conjoint d’un monde et d’un esprit à partir de l’histoire des diverses actions qu’accomplit un être dans le monde » (Varela et al. 1993 : 35). Cet « avènement conjoint » constitue une interaction réciproque entre nos perceptions et nos manières de nous mouvoir dans le monde (notre motricité) ; il s’agit donc d’une cognition incarnée, autrement dit une élaboration corporelle de la conscience et de la connaissance : « La connaissance ne préexiste pas en un seul lieu ou en une forme singulière, elle est chaque fois énactée dans des situations particulières. » (Varela et al. 1993 : 97). Une des meilleures illustrations que Varela donne de l’émergence figure dans Quel savoir pour l’éthique ?, où il emploie une comparaison éthologique :
Utilisons une des meilleures illustrations des propriétés émergentes : les colonies d’insectes. [...] Une chose est particulièrement frappante dans le cas de la colonie d’insectes: contrairement à ce qui se passe avec le cerveau, nous n’avons aucun mal à admettre deux choses : a) la colonie est composée d’individus ; b) il n’y a pas de centre ou de “moi” localisé. Pourtant, l’ensemble se comporte comme un tout unitaire et, vu de l’extérieur, c’est comme si un agent coordinateur était “virtuellement” présent au centre. C’est ce que j’entends lorsque je parle d’un moi dénudé de moi (nous pourrions aussi parler de moi virtuel) : une configuration globale et cohérente qui émerge grâce à de simples constituants locaux, qui semble avoir un centre alors qu’il n’y en a aucun, et qui est pourtant essentielle comme niveau d’interaction pour le comportement de l’ensemble (Varela 1996 : 85-87).
Le sujet de la conscience selon Varela ne siège pas dans un centre, qu’il soit neuronal ou métaphysique, mais réside dans notre inscription dans les environnements de notre existence : il s’agit donc un esprit distribué dans le monde, et non plus encapsulé dans une forme d’intériorité de la conscience.
Une conception distribuée du sujet et du moi
Le colloque « Au delà du moi, la liberté ? » mettait en rapport avec beaucoup de fécondité des conceptions du moi de ce type, mais à partir de la psychanalyse et du bouddhisme. Nicolas d’Inca rappelait en introduction à quel point la vision actuellement dominante du moi en fait un monde clos sur lui-même, doté d’une « massivité » qui lui vient en partie de la conception cartésienne. Il rappelait également que Derrida, en 1990, recommandait déjà de “ne pas oublier la psychanalyse”, pour que cette conception du moi ne finisse pas par dominer nos références.
Jean-Jacques Tyszler explique en effet au début de la journée que chez Freud même, on ne trouve pas de conception du moi comme instance régulatrice ou comme synthèse, qui fonde en notre modernité une conception de l’identité qui envahit la vie sociale et politique. Il souligne que chez Freud, le moi est un « bric-à-brac », une notion instable et peu formalisée. Pour Lacan relecteur de Freud, ce moi massif et tout-puissant n’existe pas, mais il est au contraire une instance de méconnaissance, la fonction moïque étant porteuse de la paranoïa ordinaire du sujet. Croire à son moi, c’est tomber dans les rets du sujet, et donc céder à l’aliénation, au fantasme et à la pulsion. Pour Lacan, il est impossible que le sujet soit identique à quelque chose qui serait lui-même, puisque le sujet est défini comme sujet du fantasme. Notre identité nous échappe, puisque nous sommes le fantasme de l’autre, nous sommes ce que façonne le regard de l’autre : “Le moi est référentiel à l’autre. Le moi se constitue par rapport à l’autre. Il en est corrélatif”, affirme-t-il dès le premier séminaire (1953-54 : 83). Jean-Jacques Tyszler souligne que la conception de Lacan n’est pas dénuée d’un certain pessimisme, car il a tendance à réduire l’humain à ses objets de tyrannie, au nombre de quatre : le sein, les fèces, la voix et le regard. Il rappelle que le « rien » (“l’objet a-rien”) a failli devenir le cinquième objet, ce qui aurait considérablement rapproché la psychanalyse lacanienne de la pensée bouddhiste.
Jean-Luc Giribone, prenant ensuite la parole, revient sur ce cinquième objet écarté et rappelle que le moi est exactement défini par Lacan comme l’objet dont le sujet tombe amoureux, installant avec lui une relation imaginaire. La formule est connue : “L’objet aimé est dans l’investissement amoureux, par la captation qu’il opère du sujet, strictement équivalente à l’idéal du moi” (1953-54 : 201). Pour Lacan, il s’agit même de la structure de la folie : croire en son moi, croire que l’on est quelque chose et que ce quelque chose possède à la fois une existence « solide » et une importance. Or le moi, pour le bouddhisme, est une forme de rien, le non-moi (un prolongement de cette intervention sur le blog de N. d’Inca). Sur ce point, il existe de véritables analogies entre la psychanalyse et le bouddhisme, en particulier dans les textes d’un des maîtres inspirateurs de cette journée, Chögyam Trungpa, principale figure du bouddhisme tantrique au 20e siècle. Dans Pratique de la voie tibétaine, sous-titré « Au-delà du matérialisme spirituel »,  publié en 1973, Trungpa a des formules que Lacan aurait pu produire vingt ans auparavant :
Il est important de voir que le point esentiel de toute pratique spirituelle est de sortir de la bureaucratie de l’ego, c’est-à-dire de ce constant désir qu’a l’ego d’une forme plus haute, plus spirituelle, plus transcendante du savoir, de la religion, de la vertu, de la discrimination, du confort, bref, de ce qui fait l’objet de sa quête particulière. Il faut sortir du matéralisme spiriruel (1973 : 24).
Un peu plus loin, dans un chapitre intitulé « Le développement de l’ego », Trungpa décrit comment la littérature bouddhiste représente l’ego, à travers la métaphore du singe prisonnier :
On parle d’un singe emprisonné dans une maison vide, une maison percée de cinq fenêtres représentant les cinq sens. Ce singe est très curieux : il sort sa tête par chacune des fenêtres et il n’arrête pas de sauter de-ci de-là inquiet. C’est un singe captif dans une maison vide. La maison est solide, ce n’est pas la jungle dans laquelle le singe bondissait et se balançait accroché aux lianes, ni les arbres dans lesquels il pouvait entendre souffler le vent et frémir les brachages et les feuillages. Toutes ces choses ont été complètement solidifiées. En fait, la jungle elle-même est devenue sa maison solide, sa prison. Au lieu de se percher dans un arbre, notre singe curieux a été emmuré dans un monde solide, comme si une chose fluide, une cascade dramatique et belle, avait soudain gelé. Cette maison gelée, faite de couleurs et d’énergies gelées, est complètement immobile (p. 135-136).
Cette parabole trouve d’étonnants échos dans le second séminaire, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse (1954-55). C’est sans doute le plus “bouddhiste” des textes de Lacan, texte où il propose quelques notions fortes comme le “décentrement du sujet”, la “tendance à croire que nous sommes nous”, et où il explique que l’inconscient est “ce sujet inconnu du moi” (p. 59) : “Dans l’inconscient, exclu du système du moi, le sujet parle” (p. 77).
Meditation
Un réseau contemporain de propositions anti-dualistes : entrer dans le post-humanisme
En écoutant les communications, je pensais à Varela évidemment, mais aussi à d’autres propositions affines dans d’autres disciplines, qui ont en commun cette conception distribuée et fluide de l’esprit et du moi : le moi est dans l’autre, que cette altérité soit humaine ou non-humaine, et par conséquent, l’existence s’accomplit sur le mode de la distribution, de la médiation et du décentrement. Nous vivons en effet actuellement un tournant épistémologique important dans les sciences humaines, caractérisé par l’effacement des grands binarismes et une recomposition de la pensée sur le monde qui ne passe plus par la référence à des centres : les pensées en «-centrisme » sont de plus en plus contestées et invalidées : anthropocentrisme, ethnocentrisme, européanocentrisme, égocentrisme et logocentrisme. Nous sommes entrés dans l’ère du post-centrisme. Quelques exemples, au fil de ma pensée :
– La cognition distribuée, lancée au début des années 1990 par Edwin Hutchins dans son étude princeps sur la circulation de l’intelligence à bord d’un avion (1991), pose que les objets de notre entourage sont des agents psychiques, et que, dans un cockpit par exemple, les informations ne circulent pas seulement dans l’interaction duelle entre le pilote et le copilote, mais se « distribuent » à travers les instruments de mesure.
– La théorie de l’extended mind de Alan Clark et David J. Chalmers, qui défendent l’idée de l’externalité de l’esprit, emprunte cete voie de la distribution et du décentrement : mon esprit est, partiellement, non seulement dans le vôtre, mais aussi dans les artefacts et les objets matériels qui m’entourent  et dont je fais usage.
– La réflexion sur l’identité de François Laplantine dont je viens de relire l’essai Je, nous et les autres (lire un compte rendu), tout juste republié aux Éditions du Pommier est absolument adéquate aux conceptions lacanienne et bouddhiste. Laplantine est très hostile aux deux concepts d’identité (dérivé d’une conception du moiet de représentation, qui solidifient selon lui de manière draatqiue notre rapport à l’autre et au monde.
– Même si le concept est critique dans son esprit, et même si je trouve sa position conservatrice et déploratoire, la notion de “liquidité” avancée par Zygmunt Bauman, qui constitue un exact pendant à la “solidité” pensée par Laplantine, nous aide à penser les circulations et les décloisonnements post-cartésiens, dans Identité en 2004 et Le présent liquide en 2007.
– Mais c’est sans doute la position d’Axel Honneth qui me semble la plus opératoire en sciences humaines, car issue d’une synthèse puissante des remises en cause du sujet dans la seconde moitié du 20e siècle (1993). Honneth propose la notion d’”autonomie décentrée”, ne souhaitant pas abandonner totalement le sujet au néant du non-moi, mais ne visant pas non plus le retour à une conception pré-structuraliste d’un moi de la maîtrise et de la pleine conscience.
On le voit, les circulations sont intenses entre les différents paradigmes qui s’occupent de la question du sujet et du moi dans une perspective non cartésienne : psychanalyse, bouddhisme et méditation, cognition sociale, anthropologie, philosophie de l’esprit, philosophie morale. Il ne me semble désormais plus possible d’adopter une conception egocentrée du sujet, qui détiendrait une perspective sur ‘autre et sur le monde. Reste à assumer cette modification épistémologique dans nos disciplines, ce qui, en linguistique en tout cas, aussi discursive soit-elle, reste encore largement à accomplir.
Références
Bauman Z., 2010 [2004], Identité, trad. anglais M. Dennehy, Paris, L’Herne.
Bauman Z., 2007, Le présent liquide. Peurs sociales et obsessions sécuritaires, trad. anglais L. Bury, Paris, Seuil.
Clark A., Chalmers D., 1998, « The extended mind », Analysis 58 (1) : 10-23.
Honneth A., 2008 [1993], « L’autonomie décentrée. Les conséquences de la critique moderne du sujet pour la philosophie morale », dans Psychologie morale, Autonomie, responsabilité et rationalité pratique, Paris, Vrin, 347-364.
Hutchins E., 1994 [1991], « Comment le cockpit se souvient de ses vitesses » (trad. de « How a Cockpit Remembers its Speed »), Sociologie du travail 4 : 461-473.
Lacan J., 1975 [1953-1954], Séminaire 1, Les écrits techniques de Freud, Paris, Éditions du Seuil.
Lacan J., 1978 [1954-1955], Séminaire 2. Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, Paris, Éditions du Seuil.
Laplantine F., 2010 [1999], Je, nous et les autres, Paris, Le pommier.
Trungpâ C., 1976 [1973], Pratique de la voie tibétaine. Au-delà du matérialisme spirituel, trad. de l’américain par V. Bardet, Paris, Seuil.
Varela F., Thomson E. & Rosch E., 1993 [1991], L’inscription corporelle de l’esprit : sciences cognitives et expérience humaine, trad. V. Havelange, Paris, Seuil.
Varela F., 1996, Quel savoir pour l’éthique ? Action, sagesse et cognition, Paris, La Découverte.
Crédits photographiques
1. “Meditation Labyrinth”, 2007, Nancy McClure, galerie de l’auteur sur
Flickr, contrat Creative Commons.
2. “Meditation”, 2010, Sam, galerie de l’auteur sur
Flickr, contrat Creative Commons.

vendredi 6 juillet 2012

Appel à contribution ...sur les médias

Sociologie

Appel à contribution

Lundi 15 octobre 2012  |  Pessac (33600)

Médias, engagements et mouvements sociaux

Media, commitment and social movements

Publié le lundi 02 juillet 2012 par Elsa Zotian
Résumé
C’est depuis quelques années que les médias engagés ou alternatifs font l’objet de travaux. De même, le journalisme « social » était considéré en France comme une forme de journalisme moins légitime que le journalisme politique ou culturel, avant d’être réinvesti. Enfin, la question du rapport des journalistes à l’engagement a émergé, après une période fortement imprégnée par la représentation indigène de « l’indépendance » de la presse et de « l’objectivité » de l’information. Enfin, l’interrogation sur les usages, les publics et les modes d’appropriation des messages médiatiques (Le Grignou, 2003, Goulet, 2010) s’est développée, avec la démocratisation de l’accès aux TIC notamment. Les propositions de communications pourront s'articuler autour de trois axes principaux : le traitement médiatique des acteurs politiques et des mobilisations ; les formes de l’engagement dans la sphère médiatique ; les usages des médias par les militants ; mais toutes les propositions seront étudiées.
Annonce

Argumentaire

Ces journées doctorales du RT37 de l’Association française de sociologie, organisées avec le soutien des RT21 et 35, laissent la place aux jeunes chercheurs (doctorants et post-doctorants). Elles auront lieu à Bordeaux, les 28-29 mars 201.
Le RT sociologie des médias a été créé en 2002 dans le but de fournir un espace de dialogue à l’ensemble des chercheurs travaillant sur les médias dans une perspective sociologique, quelle que soit leur discipline d’exercice. L’objectif est d’articuler différents niveaux d’analyse : celle des acteurs ou producteurs de l’information, celle des organisations ou modes de production, celle des contenus ou produits médiatiques, et enfin celle des modes de réception. En faisant la place aux jeunes chercheurs, ces Journées doctorales obéissent à la volonté du RT37 de structurer un espace de débat scientifique pluraliste de sociologie des médias et de lui donner une meilleure visibilité académique. Le partenariat entre plusieurs RT entend permettre de développer des échanges et des passerelles avec les autres secteurs et spécialités de la sociologie.
La question du rapport entre médias et mouvements sociaux est peu traitée jusqu’à la fin des années 1980. Jusqu’aux années 1990, les cadres théoriques de la mobilisation des ressources constituaient le point d’appui central d’une majorité de travaux sociologiques (Neveu, 2005), et focalisaient leur attention sur les ressources collectives et individuelles des groupes, en laissant de côté les relations aux médias et la construction des représentations. Par la suite, l’étude des mouvements sociaux a pris une place croissante au sein de la science politique française et s’est davantage penchée sur les conditions de l’engagement, les relations concrètes entre les acteurs et les médias dans la construction des problèmes publics (Neveu, 1999). De même, en sociologie des médias, les recherches ont longtemps principalement porté sur le fonctionnement interne des rédactions d’un côté, ainsi que sur le travail des journalistes politiques et le traitement de la politique institutionnelle de l’autre. C’est depuis quelques années que les médias engagés ou alternatifs font l’objet de travaux. De même, le journalisme « social » était considéré en France comme une forme de journalisme moins légitime que le journalisme politique ou culturel, avant d’être réinvesti (Lévêque, 2000). Enfin, la question du rapport des journalistes à l’engagement a émergé (Frisque, 2002, Lévêque et Ruellan, 2010, Lemieux, 2010), après une période fortement imprégnée par la représentation indigène de « l’indépendance » de la presse et de « l’objectivité » de l’information. Enfin, l’interrogation sur les usages, les publics et les modes d’appropriation des messages médiatiques (Le Grignou, 2003, Goulet, 2010) s’est développée, avec la démocratisation de l’accès aux TIC notamment.
Les propositions de communications pourront s'articuler autour de trois axes principaux, mais toutes les propositions seront étudiées. Celles-ci peuvent porter sur des objets ou dispositifs médiatiques bien spécifiques mais doivent alors chercher à s’inscrire dans une réflexion plus large sur leurs enjeux, leur positionnement, leur économie et mode de production… Les travaux de comparaison historique ou internationale seraient les bienvenus.

Axe 1 : Le traitement médiatique des acteurs politiques et des mobilisations

  • Le traitement médiatique de la sphère militante

Le journalisme politique s’intéresse avant tout aux professionnels de la politique et aux représentants des organisations officielles, mais traitent parfois aussi des militants de ces organisations. Comment les militants, adhérents et sympathisants des partis politiques « traditionnels » sont-ils traités dans la presse écrite et audiovisuelle ? Quelle rôle ont-ils dans les dispositifs médiatiques numériques ? Quelle est leur place et comment sont-ils mis en scène ?
  • Le traitement médiatique des mouvements sociaux

Les mouvements sociaux, sous quelque forme que ce soit (grèves, manifestations, rassemblements, actes de résistance…) font l’objet d’un traitement médiatique souvent différencié (Jacquemain, Delwit, 2010). Comment les médias traitent-ils de l’engagement ? Quels sont les rapports entre les professionnels de l’information et les acteurs militants ? Quels sont les enjeux en termes d’éthique journalistique ? Quelles sont les conséquences en matière de politiques publiques ?
  • Un traitement « alternatif » de l’information ?

Les médias associatifs, militants, alternatifs, se positionnent en opposition aux médias généralistes, conventionnels ou « mainstream » et forment une vaste constellation aux contours incertains. Ils se dépeignent souvent comme proches de leurs publics, répondant à maints besoins sociétaux et remplissant des fonctions que ni les médias commerciaux ni les médias de service public ne peuvent satisfaire. Ils disent contribuer à encourager le débat public, le pluralisme politique, notamment en offrant la possibilité à des groupes variés – incluant des minorités culturelles, linguistiques, ethniques, religieuses ou autres – de recevoir et de communiquer des informations, de s’exprimer et d’échanger des idées. Leur fonctionnement interne est aussi censé être différent, de même que leur économie. Dans quelle mesure ces médias ont-ils un fonctionnement spécifique ? Les différents niveaux (statut juridique, fonctionnement interne, économie, traitement de l’information, critique des médias…) sont-ils convergents ou comportent-ils des décalages ? Ces médias forment-ils un sous-champ médiatique spécialisé voire autonome ou doivent-ils être pensés en rapport avec l’espace médiatique global ?

Axe 2 : Les formes de l’engagement dans la sphère médiatique

  • Continuités et mutations des médias « participatifs »

Dans les années 1960, les « fanzines » écrits par de petits groupes de jeunes se sont multipliés, en Europe de l’Est, les samizdats ont formé un vaste système clandestin de circulation d’écrits dissidents, manuscrits ou dactylographiés. Dans les années 1970-1980, le mouvement des radios libres naissait de la volonté de créer des outils de diffusion autonomes et de participer au débat public. Il relevait de mouvements et de mécanismes sociaux, politiques et culturels profonds et divers (Cheval 1997, Lefebvre 2008). Aujourd’hui, d’autres acteurs sociaux s’emparent du web (internautes non journalistes, geeks) et des nouvelles technologies (hackers) pour participer à l’élaboration de l’information (ex. AgoraVox, Aubert 2009 ; Indymedia), défendre des causes (samizdat.net, Anonymous, Telecomix, partis pirate), se positionner dans l’espace public. Comment faire le lien avec l’engagement dans la presse underground, les fanzines ou les radios libres ? Y a-t-il une spécificité de l’activisme sur Internet (Blondeau 2007) ?
Ce sous-axe sera l’occasion d’interroger les formes de coopérations qui peuvent se former entre « anciens » et « nouveaux » acteurs (ex: Wikileaks/The Guardian) dans l’information et la critique politique. Tous les citoyens connectés peuvent désormais réagir en ligne en postant un commentaire, en twittant ou en alimentant leur propre blog ; si bien que les frontières se brouillent entre journalistes et citoyens, experts et profanes. De nouveaux auxiliaires du politique se font jour : consultant web, blogueurs stars du fait de leur compétence / réussite sur le web. Une réflexion sur les profils socio-démographiques ou les trajectoires de ces nouveaux acteurs est la bienvenue.
  • L’engagement des fans

A travers leurs activités dans les « communautés de pratiques » (Baym, 2000), les fans développent des activités que nous pouvons définir en cinq catégories parmi lesquelles l’activisme ou l’engagement civique (Bourdaa, 2012). Les fans se rassemblent et à travers leurs discussions et leurs activités, ils sont à même d’apporter une nouvelle vision au changement social. Comme le montre Henry Jenkins (2006), « la culture de la participation conduit à l’engagement civique ». 
Nous pouvons par exemple nous interroger sur le degré d’engagement des fans pour des causes charitables. Comment les fans s’organisent dans les communautés ? Ont-ils des moyens d’action différents de leurs autres activités de créations ? Quels médias utilisent-ils en particulier ? Nous pouvons également réfléchir aux différentes formes que peuvent prendre ces actions activistes.
Les pratiques médiatiques favorisées par les nouvelles technologies donnent-elles une tribune plus favorable aux fans ? Comment les fans se positionnent-ils par rapport aux questions de propriété intellectuelle des franchises médiatiques ? Par exemple, les fans de The Hunger Games ont créé une campagne de prévention contre les dangers de la faim, « Hunger is not a Game », en collaboration avec Oxfam qui a été fermée par Lionsgate, le distributeur du film.
  • Les rapports des journalistes à l’engagement 

Les journalistes des médias « classiques » peuvent entretenir des rapports différenciés à l’engagement. Si certains estiment que leur rôle est simplement de « suivre » et de « rendre compte » d’une actualité qu’ils perçoivent comme donnée, d’autres ont une conception plus active de leur rôle. Pendant longtemps, c’est un journalisme directement engagé politiquement qui a fait contre-point, soit par un positionnement comme éditorialiste, soit par l’appartenance à une presse partisane. Mais c’est maintenant de plus en plus par une forme d’engagement « dans » et « par » le travail journalistique que cela s’exprime (Frisque, 2002, Lemieux, 2010, Lévêque et Ruellan, 2010), par un effort de distanciation critique vis-à-vis de l’information et/ou par la recherche d’une contre-information (investigation, animation d’espaces de débat, data-journalism…). Quelles formes prennent ces activités et quelle place occupent-elles ? Comment les journalistes concernés gèrent-ils leurs positions dans les rédactions des médias grand public ?

Axe 3 : Les usages des médias par les militants

  • Stratégies militantes de l’exposition médiatique

Il s’agira ici de s’interroger sur les stratégies concurrentielles présentes dans la définition des enjeux de le lutte (Sida : Barbot, 1999 ; sans-papiers : Siméant, 1998 ; DAL : Pechu, 1996 ). Des communications pourront aussi porter sur des comparaisons entre les stratégies défensives et les stratégies offensives (coups d’éclat et engagement politique des hackers : les Anonymous multiplient les attaques pour défendre wikileaks en s’en prenant à Amazon, Paypal, Mastercard et autres géants ; Telecomix viennent en aide aux internautes tunisiens, égyptiens et syriens ; création du Parti pirate français et lutte contre les lois Hadopi et Loppsi 2).
  • Le recours aux médias comme construction d’une identité publique

L’espace médiatique peut être vu comme une composante de la construction des mobilisations. A titre d’exemple, les TIC peuvent permettre aux populations migrantes et diasporiques d’entrer en contact de part et d’autre de la planète et d’entretenir des sentiments communautaires à distance, tout en favorisant dans le même temps des mobilisations et des actions collectives effectives dans l’espace physique (Rigoni 2010). Cet axe invite à s’interroger sur la mise en récit de l’engagement, de l’activité protestataire, sur la construction d’une identité publique et les différentes stratégies d’engagement dans l’arène médiatique.
  • TIC et militantisme

Internet a timidement fait son entrée dans le domaine politique au début des années 1990 jusqu’à être considéré aujourd’hui comme un outil indispensable en communication politique, « un obligatoire de campagne » (Ethuin, Lefebvre, 2002). Cet attrait grandissant pour les technologies est particulièrement visible lors des campagnes électorales où les candidats se livrent une véritable « course politique virtuelle » (Barboni, Treille, 2010). Ainsi, depuis le milieu des années 2000, la palette des outils numériques utilisés (non forcément maîtrisés) par les hommes politiques français ne cesse de s’élargir: Twitter, Facebook, Dailymotion, Youtube, Flickr… Le succès phénoménal de mybarackobama.com, outre-Atlantique, a encore renforcé l’intérêt des hommes politiques français pour la Toile (Greffet, 2011). Les militants sont eux aussi fortement incités par leurs partis à utiliser les outils numériques (Theviot, 2012).
Comment s’organise le militantisme en ligne ? Quel est son impact en termes d’enjeux socio-politiques ? Qui sont ces « supporters » qui militent sur la Toile, et comment s’expriment-ils (pratiques langagières) ? Lorsque l’on s’intéresse aux profils des « twittos », on peut remarquer une certaine fluctuation  des contours du militantisme (présence d’acteurs individuels engagés sur les réseaux sociaux, amis non encartés) : dissolution des frontières entre sympathisants et militants. Cette tendance serait-elle symptomatique d’une reconfiguration des organisations partisanes ? Certains auteurs  postulent à la transformation possible des instances partisanes en « firmes » régies par des concepts marketing (Howard, 2006), ou en organisations citoyennes (Löfgren et Smith, 2003), voire en « cyber-partis » (Margetts, 2006). Plus globalement, nous pouvons nous demander si les TIC font émerger de nouvelles formes de militantisme.

Références citées

  • Aubert Aurélie (2009), « Le paradoxe du journalisme participatif. Motivations, compétences et engagements des rédacteurs des nouveaux médias », Terrains & travaux, (15), p.171-190.
  • Barboni Thierry, Treille Eric, (2010), « L'engagement 2.0 », Revue française de science politique, 60(6), p.1137-1157.
  • Barbot Janine (1999), « L’engagement dans l’arène médiatique. Les associations de lutte contre le sida », Réseaux, 17(95), p.155-196.
  • Baym Nancy (2000), Tune in, log on. Soaps, fandom and online community (new media cultures), London, Sage.
  • Blondeau Olivier (2007), Devenir média. L’activisme sur Internet, entre défection et expérimentation, Paris, Ed. Amsterdam.
  • Bourdaa Mélanie (2012), « Typologie des pratiques participatives des fans », Les cahiers de la SFSIC, n°7.
  • Cheval Jean-Jacques (1997), Les radios en France. Histoire, état, enjeux, Rennes, Apogée.
  • Ethuin Nathalie, Lefebvre Remi (2002), « Les balbutiements de la cyberdémocratie électorale. Contribution à une analyse des usages politiques d’Internet : le site de Martine Aubry lors des élections municipales de mars 2001 », in Vivianne Serfaty (dir.), L’Internet politique, des Etats-Unis à l’Europe, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, p.155-177.
  • Cardon Dominique et Granjon Fabien (2010), Médiactivistes, Paris, Presses de sciences-po, coll. « Contester ».
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Modalités de soumission et de sélection

Les doctorants (thèse en cours) et jeunes docteurs (ayant soutenu depuis 2009) sont invités à soumettre une proposition de communication d’environ 400 mots (3 000 signes espaces compris) en anglais ou en français

avant le 15 octobre 2012.

Il s’agira de présenter l’axe méthodologique et théorique retenu, ainsi que le terrain d’étude (type de dispositif, acteurs rencontrés…).
La proposition devra comporter les éléments suivants :
  • Nom, prénom du/des auteur-e-s
  • Institution de rattachement
  • Adresse mail
  • Titre de la communication
  • Proposition
  • Bibliographie succincte
Les propositions devront être envoyées à : journeesdoctoralesRT37@googlegroups.com
Merci de bien vouloir indiquer en objet de votre message : «  proposition RT médias »
L’évaluation des propositions sera effectuée en double aveugle.
Le comité scientifique, rassemblant des chercheurs confirmés de diverses disciplines, procèdera à la sélection des communications. L’objectif est d’accorder un temps long à la discussion afin de favoriser le dialogue entre les travaux.
Les personnes sélectionnées devront faire parvenir au comité d’organisation pour le 15 février 2013 au plus tard le texte final d’environ 6 500 mots (45 000 signes), espaces et références bibliographiques compris. Une publication est envisagée.

Calendrier 

  • 15 octobre 2012 : date limite d’envoi des propositions
  • 30 novembre 2012 : retour des évaluateurs
  • 15 février 2013 : rendu des versions finales des papiers des auteur.e.s sélectionné.e.s
  • 28-29 mars 2013 : Journées doctorales

Comité scientifique

  • Mélanie Bourdaa, MCF infocom, Université Bordeaux 3, MICA, RT37
  • Valérie Carayol, PR infocom, Université Bordeaux 3, MICA
  • Dan Ferrand-Bechmann, PR sociologie, Université Paris 8, CESOL, RT35
  • Cégolène Frisque, MCF sociologie, Université de Nantes, CRAPE, RT37
  • Fabien Granjon, PR infocom, Université Paris 8, CEMTI
  • Fabienne Greffet, MCF science politique, Université Nancy-2, IRENEE, PACTE
  • Graem Hayes, politique comparée, CRAPE
  • Pierre Lefebure, MCF science politique, Université Paris 13, Centre Emile Durkheim, RT37
  • Marie-Christine Lipani-Vaissade, MCF infocom, IJBA
  • Laurence Monnoyer-Smith, PR infocom, Université de Technologie de Compiègne, COSTECH
  • Eric Macé, PR sociologie, Université de Bordeaux 2, Centre Emile Durkheim
  • Sylvain Parasie, MCF sociologie, Université Paris-Est, LATTS, RT37
  • Geoffroy Pleyers, FNRS-UC Louvain, CADIS-EHESS, RT21
  • Yves Raibaud, MCF géographie, Université Bordeaux 3, ADES, RT35
  • Isabelle Rigoni, sociologie, science politique, infocom, Sciences Po Bordeaux, MICA, RT37
  • Antoine Roger, PR science politique, Sciences Po Bordeaux, Centre Emile Durkheim
  • Claude Rosental, DR sociologie, CEMS-EHESS
  • Anaïs Theviot, doctorante Sciences Po Bordeaux, Centre Emile Durkheim, RT37
  • Arnaud Trenta, ATER sociologie, LISE-CNAM, RT35

Comité d’organisation

  • Mélanie Bourdaa, MCF infocom, Université Bordeaux 3, MICA, RT37
  • Isabelle Rigoni, sociologie, science politique, infocom, Sciences Po Bordeaux, MICA, RT37
  • Anaïs Theviot, doctorante Sciences Po Bordeaux, Centre Emile Durkheim, RT37
Contact : journeesdoctoralesRT37@googlegroups.com

Mots-clés
  • médias, engagement, mouvements sociaux, alternatif, fans, militantisme, journalisme, information, presse, radio, télévision, Internet
Fichiers attachés
Lieu
  • Pessac (33600) (Sciences Po Bordeaux, Centre Emile Durkheim / Université Bordeaux 3, MICA)
Date limite
  • lundi 15 octobre 2012
Contact
  • Comité d'organisation
    courriel : journeesdoctoralesRT37 (at) googlegroups [point] com
Source de l'information
  • Isabelle Rigoni
    courriel : isabelle [point] rigoni (at) club-internet [point] fr

Pour citer cette annonce
« Médias, engagements et mouvements sociaux », Appel à contribution, Calenda, publié le lundi 02 juillet 2012, http://calenda.revues.org/nouvelle24659.html

lundi 2 juillet 2012

Le sport et le nazisme...

Le sport européen à l’épreuve du nazisme. Des J.O. de Berlin aux J.O. de Londres (1936-1948)


Photographies, affiches, cartes d’adhésions à des fédérations sportives, etc. illustrent les relations complexes entre sports, corps et régimes autoritaires ou totalitaires au XXe siècle et rappellent des trajectoires humaines parfois tragiques. Des régimes totalitaires, fasciste et nazi, qui ont mené des politiques sportives ambitieuses et discriminantes, notamment à l’égard des Juifs, pour façonner leur « homme nouveau ».


Grande, élancée, cette athlète brune se prépare à lancer son disque en 1937. Elle est photographiée non par Leni Riefenstahl, mais par Liselotte Grschebina. Celle-ci est née en 1908 à Karlsruhe. Elle fuit le nazisme en 1934 et émigre en Palestine mandataire. Elle s’installe à Tel-Aviv et meurt en 1994 à Petah Tikva.

Du sport, cette exposition souligne l’emprise sur les peuples, la politisation et la médiatisation. Elle évoque peu l’Union soviétique – le club Dynamo est soutenu par le ministère de l’Intérieur, plus particulièrement par la police secrète - ou le Japon.



Dans le premier espace, sont présentées des histoires parallèles sous le thème Corps et sport entre démocraties et totalitarismes et en deux allées : celle de gauche évoque la destinée tragique du sport (1925-1948) - l’Italie fasciste : le sport sous la devise « croire, obéir, combattre », Le sport allemand aryanisé, Sport et monde Juif en Europe, entre émancipation et exclusion, « Travail, famille, patrie… et sport » dans la France de Vichy, Le sport dans les camps d’internement, « Sport » dans les ghettos et dans l’univers concentrationnaire et Résister dans le sport et par le sport - et celle de droite le mur sportif, d’une olympiade à l’autre : les Jeux du Reich : propagande, boycott, performances, les contres-jeux ouvriers et l’olympiade populaire de Barcelone, les Maccabiades, « premiers Jeux Olympiques Juifs », adhésion sportive et engagement politique, l’olympiade sacrifiée de 1940 et Londres 1948 : des Jeux de sortie de guerre.

La seconde salle est dédiée à des portraits de sportifs de sept disciplines : gymnastique - Alfred Flatow et Gustav Felix Flatow -, escrime, sports de combat - boxeur Victor « Young » Perez (1911-1945) -, sports aquatiques - Alfred Nakache et les nageuses du club Juif viennois Hakoah -, athlétisme, football - Matthias Sindelar - et sports de raquette - joueurs de tennis Daniel Prenn et Gottfried von Cramm.

Le corps au service des régimes totalitaires
Les régimes aspirent à modeler les corps pour impressionner les opinions publiques et soumettre le sport à leur idéologie.

Comme l’écrit l’historien George Mosse dans L'Image de l'homme. L'invention de la virilité moderne : « Le fascisme et le national-socialisme ont démontré les effrayantes possibilités de la virilité moderne, une fois celle-ci réduite à ses fonctions guerrières. Cela aurait pu ne pas se produire. On peut imaginer un idéal masculin qui eût été poussé du côté du fair-play et des vertus chevaleresques ».

Les régimes autoritaires et totalitaires ont mis en œuvre des politiques sportives ambitieuses.

Les régimes totalitaires ont instrumentalisé l’école, l’armée et les loisirs afin de façonner le corps de « l’homme nouveau » et influer sur son esprit. Ils ont aussi recouru à l’éducation physique et au sport envisagés comme « un moyen d’améliorer la « race » et de préparer la guerre. D’où l’intérêt plus marqué pour la natation et l’athlétisme qui assouplissent les musculatures et sculptent les corps, pour le rugby et la boxe qui trempent les caractères, pour les sports de vitesse comme l’automobile et l’aviation qui donnent le goût du risque. D’où la méfiance vis-à-vis du football : un sport-spectacle qui profite à des joueurs professionnels et qui rend incontrôlables les foules de passionnés ».

Les bases de la politique sportive des régimes fasciste italien et nazi allemand, de « leurs imitateurs vichyste et franquiste, mais aussi de l’URSS » ? La « prise de contrôle et l’épuration des fédérations sportives et de leurs clubs, l’encadrement sportif des masses et le rayonnement à l’étranger des champions et des équipes nationales constituent ». Dans sa dimension sportive, un corps soumis étroitement à l’État et exhibé dans le stade, « lieu phare des manifestations sportives », espace public de « cristallisation des pratiques et des idéologies totalitaires ».

Le sport était à la fois un mode de formation de « l’homme nouveau », un instrument du combat idéologique immiscé jusque dans les stades et de mobilisation des masses, et un lieu méconnu de la persécution des Juifs.
L’Italie fasciste : Le sport sous la devise « Croire, obéir, combattre »
Fondateur du Parti national fasciste (PNF), Benito Mussolini arrive au pouvoir en octobre 1922. Sous sa férule, l’Italie engage « une politique de développement sportif de masse qui encadre l’activité physique sous l’autorité de l’État ».

En « reprenant l’idée de la fonction militaire de la gymnastique, déjà largement répandue en Europe au début du XXe siècle, le fascisme utilise le sport comme un moyen de forger et d’embrigader les masses et surtout la jeunesse italienne. Mussolini veut cette dernière dynamique, forte et fidèle à son chef, selon sa devise « Croire, obéir, combattre » qui illustre le caractère violent du régime ».

Elément central de l’investissement de l’Etat dans l’activité sportive et illustration de l’idéologie fasciste : la construction des infrastructures sportives. « Ainsi, l’inauguration des stades, toujours le 28 octobre, jour anniversaire de la marche sur Rome (1922), devient l’occasion d’organiser des fêtes fascistes et de mettre en scène le mythe de « l’homme nouveau » italien ».

Bénéficiant d’une propagande dense, les victoires sportives sont instrumentalisées en succès politiques : à l’étranger, elles glorifient le régime ; en Italie, elles visent à renforcer « la cohésion sociale autour d’une conscience nationale et de transformer les sportifs en héros civils ». Ainsi, Champion du monde des poids lourds en 1933, Primo Carnera « devient le symbole vivant de la force du régime. Il pose devant la presse internationale en uniforme fasciste en faisant le salut romain ».

La « volonté uniformisatrice », totalitaire du régime « se traduit par une politique de fascisation qui embrasse tous les domaines de la société », dont les milieux sportifs. Le régime fasciste italien, totalitaire, encadre l’activité physique des jeunes par un système d’organisation pyramidale qui débute « dès l’âge de huit ans et la pratique obligatoire de la gymnastique se poursuit à l’âge adulte ».

Vers « le milieu des années 1930, le régime fasciste s’engage progressivement sur la voie du racisme et de l’antisémitisme, un processus d’épuration des milieux sportifs se met brutalement en place ». Des fédérations et associations sportives tel le Club Alpino Italiano, et les clubs d’échecs et du tennis édictent un règlement « aryen ». Adoptée en 1938, cette législation antisémite exclut des Juifs de la société italienne, dont les activités sportives.

Ainsi, le boxeur Primo Lampronti est déchu de son titre et contraint de mettre un terme à sa carrière. L’entraîneur hongrois Arpad Weisz qui, dans les années 1930, « avait hissé les équipes Inter de Milan et Bologne au sommet du championnat de football, doit quitter l’Italie et chercher refuge aux Pays-Bas d’où il est déporté en 1942 à Auschwitz ».

Malgré tous ses efforts et sa propagande en faveur d’un sport spectacle, le fascisme italien ne parvient pas à créer « un homme nouveau » par sa politique sportive.

Le sport allemand aryanisé
« Le jeune Allemand doit être mince et élancé, agile comme un lévrier, résistant comme le cuir et dur comme l'acier de Krupp ». Telle est la description d’Adolf Hitler.

Ce qui suppose un corps sculpté par une discipline sportive spéciale, d’airain.

Dès 1933, les nazis « ont non seulement mis en œuvre la nazification de la culture physique et des organisations sportives, mais également utilisé le sport à des fins racialistes ».

De manière plus extrémiste qu’en Italie, le sport allemand est donc « épuré » et dirigé le chef SA de Dresde, Hans von Tschammer und Osten. Celui-ci devient Reichssportführer en mai 1933. Il déclare que « l'âge de l'individualisme sportif a pris fin » et que le sport est désormais « une obligation » pour tout Allemand. Le sport est également « intégré dans la vie collective de la jeunesse à raison de 10 heures hebdomadaires d'éducation physique pour « contrebalancer une éducation scolaire » estimée « uniquement intellectuelle ». Enfin, jeunes filles et femmes sont aussi astreintes à des activités physiques afin qu’elles « offrent à l'État et au peuple (Volk) des enfants en pleine santé ».

De plus, les « fédérations sportives ouvrières sont interdites, les clubs chrétiens sommés d'abandonner toute orientation religieuse, et les Juifs exclus des clubs et des championnats allemands ».

En théorie, les Juifs sont autorisés à s'inscrire soit dans les clubs sionistes Maccabi car ils prônent l'émigration, soit dans les sociétés Schild des anciens combattants Juifs visant à « propager le sentiment patriotique allemand dans les jeunesses Juives ».

En réalité, ces deux mouvements affrontent de nombreux obstacles, en particulier pour obtenir des terrains de jeux spécifiquement juifs, jusqu'à leur interdiction définitive après la Nuit de cristal en novembre 1938. L'antisémitisme d’État s’applique aux terrains publics de sport, aux piscines, aux lacs et rivières utilisés pour nager... Les Juifs « n'ont même plus le droit de monter à cheval, au motif qu’un cheval allemand ne saurait être en contact avec un Juif ».

Sont aussi persécutés les sportifs tsiganes sont également persécutés. Ainsi, « le boxeur Sinti, Johann Wihlelm Trollmann, champion d’Allemagne en 1933 grâce à son fameux jeu de jambes, se voit-il retirer son titre par les nazis ».

Judaïsme, sionisme et sport
Depuis  « la plus haute Antiquité, la force et la masculinité juives apparaissent de manière ambivalente », écrit Patrick Clastres dans le passionnant catalogue de l’exposition. Et de citer les personnages de Samson et de Salomon.

Cette tradition de la force s’est illustrée dans des sports – le boxeur britannique David Mendoza (1764-1836), le judoka Moshe Feldendkrais dans les années 1930 -, les arts du cirque – le trapéziste américain d’origine hongroise Ehrich Weiss (1874-1926) devient le célèbre prestidigitateur Houdini -, l’haltérophilie, etc. Les combats de lutteurs professionnels, parfois parlant le yéniche (mélange d’allemand, d’hébreu, de yiddish et de romani) passionnent des rabbins et des élèves des écoles talmudiques d’Europe centrale et orientale.

L’émancipation des Juifs européens s’accompagne de la pratique des sports, notamment de la gymnastique, notamment en Allemagne.

« Nous devons aspirer à créer de nouveau un « judaïsme du muscle, nous devons devenir de nouveau des hommes aux torses saillants, avec des corps d’athlète et au regard hardi et nous devons élever une jeunesse agile, souple et musclée qui doit se développer à l’image de nos ancêtres, les Hasmonéens, les Maccabées et Bar Kokhba. Elle doit parfaitement être à la hauteur des combats héroïques de toutes les nations », écrit Max Nordau (1849-1923), né Simon Miksa Südfeld, dans son appel lors du deuxième Congrès sioniste à Bâle, en 1898.

En 1913, des clubs d’Europe centrale prennent le nom de Maccabi (« marteau » en hébreu), d’après le nom de Macchabée, qui a fondé la dynastie hasmonéenne. Certains imposent la langue hébraïque dans les stades.

Au tournant et au début du XXe siècle, dans les rangs sionistes, bundistes et communistes, dans les communautés Juives d’Europe - mouvements sportifs juifs ouvriers dans la Pologne de l’entre-deux guerres (Stern, Morgnshtern) - et du pourtour méditerranéen, de nombreux clubs sportifs sont créés – club Bar Kochba à Berlin (1898) qui ouvre dès 1900 une section féminine, club néerlandais Attila - et sont des espaces de sociabilité.

Lors des premières dynasties (alyoth), « les nouvelles cultures corporelles s’introduisent en Palestine ottomane », sont diffusées dans les lycées et clubs à Rishon le Tsion – le club se transforme en Maccabi de Tel-Aviv en 1912 - ou Bar Giora dès 1906. La fédération des clubs Maccabi en Palestine mandataire préfigure la structure sportive du futur Etat d’Israël.

Lors du XIIe congrès sioniste à Karlovy Vary (Carlsbad) en Tchécoslovaquie (1921), l’Union juive des clubs de gymnastique (UJCG), fondée en 1903, se mue en Union mondiale du Maccabi (UMM) pour regrouper les clubs d’Amérique, d’Afrique du nord et de Palestine mandataire, et privilégier les sports sur la gymnastique. En 1937, ces Maccabi regroupaient environ 200 000 membres de 27 pays, dont 30 000 de 250 clubs en Pologne.

Dès 1926, est fondée à Tel-Aviv, une fédération sportive sioniste et socialiste appelée Ha-Poel (ouvrier en hébreu) placée sous le contrôle du syndicat de travailleurs Histadrut. Cette fédération s’implante en 1932 en Lituanie et en Lettonie, en 1935 en Pologne…

Une troisième organisation sportive sioniste est liée au Bétar.

Aux Etats-Unis, jusqu'au XXe siècle, les Juifs sont exclus de quartiers aisés, d’hôtels, de stades, de gymnases, etc. Dans les années 1920, les jeunes Juifs partagent les convictions de leurs concitoyens sur les valeurs véhiculées par le sport. Même champions, ces sportifs Juifs américains sont visés par des stéréotypes antisémites.

Deux associations sportives juives marquent l’histoire du sport : le Morgnshtern et l’Hakoah. Le club omnisports Hakoah de Vienne (« la force » en hébreu) est fondé en réaction à l’interdiction faite aux athlètes Juifs d’intégrer les clubs autrichiens et gagnent nombre de compétitions européennes. Ses membres arborent l’étoile de David sur leur maillot.

Le sport-roi pour les jeunes Juifs : le football, dans lequel s’illustre l’Hakoah dans les années 1920 (victoire sur le West Ham United, équipe réserve, en 1923).

Quant aux femmes, elles sont attirées par deux modèles dominant dans cette première moitié du XXe siècle : celui vantant les mérites de la santé par la culture physique afin de renforcer la capacité à enfanter, ou celui de « la sportive ».

Après le refus du CIO (Comité international olympique) de reconnaître l’UMM, Yosef Yekutieli suggère en 1929 au président du Fonds national juif de créer des « Jeux olympiques Juifs » pour le 1800e anniversaire de la révolte de Bar Kokhba (132-135 de l’ère vulgaire). Le Haut commissaire britannique en Palestine Sir Arthur Wauchope conditionne son accord à la participation d’athlètes arabes et des sportifs du mandat britannique. Du 28 mars au 6 avril 1932, les premières « olympiades Juives » ou Maccabiades se déroulent dans le stade de 20 000 places édifié spécialement près du fleuve Yarkon, à Tel Aviv, ville de 50 000 habitants. Défilent 390 athlètes représentant 18 pays et 1 500 gymnastes. En nombre de médailles, la Pologne devance l’Autriche et les Etats-Unis.

Les IIes Maccabiades (1935) attirent 1 350 sportifs de 28 pays. Malgré les restrictions britanniques à l’aliyah (Livres blancs en 1922 et 1930), des athlètes s’installent en Eretz Israël.

Des Maccabiades d’hiver ont lieu à Zakopane (Pologne) en 1933 et à Banska Bystrica (Tchécoslovaquie) en 1936.

Les Maccabiades prévues en 1938 sont annulées en raison des persécutions contre les Juifs en Europe et des troubles en Palestine mandataire.

Elles réapparaissent en 1950 avec 800 athlètes de 19 pays, en présence du président Chaïm Weizmann et de David Ben Gourion.

La quatrième édition a lieu en 1953, puis les Maccabiades auront lieu dans l’année suivant les Jeux olympiques.

Les Jeux du Reich, les « Jeux d’Hitler » (1936)
En avril 1931, le CIO  attribue à Berlin les XIe Jeux Olympiques d’été.

Ces Jeux auraient pu ne pas se dérouler à Berlin car Hitler méprisait « la croyance pathétique qui attribue au sport un rôle dans la réconciliation des peuples, dans la paix mondiale, dans l'union des Nations, et dans la solidarité internationale ».

Le Führer est persuadé de leur importance par Goebbels qui lui fait miroiter « le potentiel de propagande » de cette fête quadriennale de la jeunesse sportive du monde.

Pour ces Jeux, le ministère nazi de la Propagande produit à destination du monde entier cartes postales, badges, bulletins d'information publiés en 14 langues européennes, 200 000 posters traduits en 19 langues (dont un millier en japonais) et quatre millions de brochures diffusées par la Compagnie allemande de chemin de fer.

L’Allemagne nazie entreprend des travaux importants pour prouver la « puissance technologique et industrielle allemande : un stade de 100 000 places et des équipements extérieurs pouvant accueillir 250 000 spectateurs, une tour géante équipée d'une cloche olympique en bronze, deux nouvelles stations de métro, une voie triomphale pour le défilé motorisé du Führer, un village olympique ultramoderne pour héberger les 4 400 sportifs et les 360 sportives sélectionnés ». Les dirigeants des Jeunesses nazies usent de tous les moyens pour ramener des médailles comme, par exemple, « l’obligation faite à l’hermaphrodite Herman Ratjen de concourir chez les femmes ».

Les Nazis refusent « aux Noirs esclaves, aux Nègres, de disputer la palme de la victoire aux hommes libres » ; ils s’opposent aussi à la sélection de Juifs dans leurs équipes nationales. Sous la pression internationale, ils autorisent finalement les athlètes juifs allemands à s’entrainer pour les épreuves qualificatives, mais « ils ne leur offrent que des conditions d'entraînement misérables ».

Aux États-Unis, malgré un appel à un boycott des Jeux, l’AAU (Amateur Athletic Union) donne son accord en décembre 1935, par quatre voix de majorité, à la participation des athlètes américains.

Le mouvement sportif européen s’est relativement peu mobilisé pour s’opposer aux Jeux de Berlin.

L’opposition la plus énergique provient de la Ligue internationale contre l’antisémitisme (LICA), Comité mondial de la jeunesse et les deux Internationales sportives ouvrières, socialiste et communiste.

Des manifestations sont organisées à Amsterdam, à Prague, au Danemark, en Norvège, à l’initiative d’émigrés allemands, d’artistes, de militants de gauche, de défenseurs des droits de l’homme. Le « mouvement de boycott connaît finalement son apogée à Paris avec l’organisation, par les communistes français, de la conférence internationale pour le respect de l’Idée olympique (6 et 7 juin 1936) ».

Les Jeux Olympiques de Berlin (1936) « constituent le plus grand événement médiatique des années 1930, et la plus grande démonstration de force nazie ».

Le 1er août 1936, alors que les croix gammées se mêlent aux anneaux olympiques, plus de 100 000 spectateurs emplissent le stade olympique de Berlin. Ils chantent « Deutschland über alles » et « Horst Wessel Lied » à l’adresse des 53 nations représentées par 4 500 athlètes et officiels. Ils se réjouissent quand la délégation française se présente bras tendus devant la tribune d’honneur : ils croient que le salut olympique est le salut nazi. Bientôt « s’avance un jeune « aryen », le champion d’Allemagne du 1 500 m, qui embrase la vasque avec une flamme allumée pour la première fois à Olympie » (Patrick Clastres).

Quinze jours plus tard, avec 89 médailles dont 33 en or, et de nombreuses places d'honneur, les sportifs allemands montent sur la première place du podium pour le plus grand plaisir des dignitaires nazis présents dans les tribunes. Vingt-trois des médailles d’or du IIIe Reich concernent « des disciplines qui relèvent des cultures pré-sportives (équitation militaire, haltérophilie gymnastique) ou d’épreuves athlétiques où prime la force (poids, marteau, javelot) ». Le IIIe Reich a atteint le firmament olympique.

Pourtant invaincus depuis 1896, les Américains occupent la deuxième marche du podium (56 médailles dont 24 en or).

Les Hongrois se hissent au troisième rang grâce à leurs escrimeurs (16 médailles dont 10 en or).

Sauf quelques exceptions telle Gisela Mauermayer, les « Aryens » ont « subi la loi des Afro-américains en athlétisme. Sans oublier celui dont les victoires dépassent la seule histoire du sport : James « Jesse » Owens quadruple médaillé d'or (100 m en 10’’3, 200 m en 20’’7, relais 4 x 100 m en 39’’8, saut en longueur avec 8,06 m) ».

« Olympia, esthétique du corps masculin et hymne à la propagande nazie »
« Des statues d’athlètes antiques qui prennent vie, un homme noir au corps souple et musclé qui s’élance pour un 100 mètres, des compétiteurs allemands qui s’exercent nus dans la campagne germanique dans l’attente de l’ouverture des Jeux. Religion de l’athlète, record chronométré, « supériorité » de la race aryenne. Passé de l’agonistique grecque, présent de l’athlétisme anglo-saxon, avenir de la culture physique allemande. Telle est la démonstration produite par Leni Riefenstahl avec Olympia, projeté en avant-première le 20 avril 1937, en présence d’Hitler ».

Les compétitions olympiques à Berlin en août 1936 sont représentées « dans un cadre esthétique conçu comme un hymne à la beauté et à la force aryennes ».

Bénéficiant d’importants moyens financiers alloués par Goebbels, Leni Riefenstahl, jeune danseuse et actrice devenue cinéaste, a pu réaliser une œuvre filmée d'une très grande modernité.

Des « rails de travelling le long de la piste du 100 m, une caméra-catapulte pour les épreuves de saut, des caméras en mouvement sur l'eau et sous l’eau, des lentilles et des focales jamais expérimentées, la possibilité de ralenti, le recours fréquent à la contre-plongée pour donner une stature majestueuse aux athlètes »… Ces innovations sont utilisées dans les 400 000 m de bobines et 200 minutes du film. La « plastique des corps en mouvement envahit l’écran ».

En 1936, « dans l’univers olympique, les images de propagande de Leni Riefenstahl, empreintes de références à l’antiquité ».



L’Olypiade populaire de Barcelone et les Contre-Jeux ouvriers (1936)
En 1936, devait se tenir « l’Olympiade populaire, semaine du sport et du folklore » à Barcelone (Espagne), avec des épreuves inédites (pelote basque, échecs, tennis de table) et des sportifs représentant des Etats non constitués : Algérie, Palestine, Juifs émigrés, Catalogne, Maroc espagnol Maroc français, Euskadi.

Des menaces ont visé les sportifs Juifs.

Le déclenchement de la guerre d’Espagne annule la tenue de cette manifestation sportive.
Un nombre faible d’athlètes – Yask d’Anvers - s’engagent dans les Brigades internationales.
« Travail, famille, patrie… et sport » dans la France de Vichy
Pour des raisons politiques et esthétiques, la propagande de Vichy a accordé une attention considérable au sport dont il a combattu le professionnalisme.

Né de la défaite militaire (1940), le régime de Vichy est dirigé par le maréchal Pétain, alors octogénaire, qui mène la « révolution nationale » et la collaboration avec l’occupant allemand nazi. Il trouve dans le sport un support adéquat pour « exprimer la régénération et la re-virilisation de la nation, la vitalité de la jeunesse, l’esprit de sacrifice de « l'homme nouveau » et son obéissance au chef ». Au « mousquetaire du tennis » Jean Borotra est confiée la tache « de renforcer les corps et d'embrigader les esprits ».

Par la Charte des sports du 20 décembre 1940, imitée de la Carta dello sport adoptée en Italie en 1926, le commissaire général à l’Education générale et aux Sports (CGEGS) contrôle les fédérations sportives. Il a également « l'ambition d’éduquer les masses par l'image du sport et développe une importante propagande en ayant recourt à l'affiche, à la photographie, à la radio, au documentaire ». La « propagande du CGEGS, dont l'impact doit être relativisé, prend d'autres formes comme les matchs contre des équipes allemandes et les manifestations publiques ». Une imagerie est reproduite pour les jeunes et les clubs, la presse locale, des dirigeants sportifs et des membres du gouvernement.

L'engouement pour le sport des jeunes, des adultes, ou bien encore des jeunes filles et des femmes, est bien réel, même s’il ne signifie pas un ralliement au régime de Vichy. En effet, dans cette ère marquée par les privations et les inquiétudes, le sport a pu servir de dérivatif.

Le régime de Vichy privilégie les sports de base ou « purs », tels l'athlétisme et la natation, et les sports violents comme le rugby à XV et la boxe.

Avec le retour de Pierre Laval, chef du gouvernement dès avril 1942, Borotra est écarté de sa fonction, puis déporté par les autorités allemandes pour « acharnement patriotique » et Joseph Pascot , ancien officier de l'artillerie coloniale et joueur de rugby à XV, directeur des sports dans le cabinet Borotra, est promu commissaire général aux sports.


Pascot se démarque de Borotra « par son culte de la personnalité, par un autoritarisme accru, et surtout par sa complicité passive avec l’occupant, notamment dans les persécutions antisémites. Les services de « Jep » Pascot vérifient les conditions d'application de l'ordonnance allemande du 8 juillet 1942 qui interdit aux Juifs « l'accès à toutes manifestations sportives, soit comme participants, soit comme spectateurs, de même qu'aux plages et aux piscines ». L’application de la législation antisémite par le CGEGS et certaines fédérations, telle la Fédération française de pelote Basque, oblige les sportifs à déclarer sur l’honneur qu’ils respectent les dispositions de la loi du 2 juin 1941 (elle remplace la loi du 3 octobre 1940 portant statut des Juifs).

Les échanges entre le CGEGS, le Commissariat aux questions juives et l’UGIF (Union générale des israélites de France) montrent les formes variées d’exclusion des Juifs des activités sportives. L’étau se resserre sur les sportifs Juifs et communistes. Les membres de la FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail), association sportive d'éducation populaire, sont poursuivis, et son secrétaire général, Auguste Delaune est interpelé, interné, remis à la Gestapo et torturé à mort. Les champions Alfred « Artem » Nakache, nageur, et Victor « Young » Perez, (1911-1945) boxeur, sont déportés à Auschwitz.


Né à Tunis, Victor Young Perez a été champion du monde de boxe en 1931. Arrêté en septembre 1943, il est déporté au camp d’Auschwitz. Il est abattu lors de la Marche de la Mort.

En 1940, le régime de Vichy veut « redresser » moralement et physiquement la jeunesse française. Mission est confiée à un organisme nouveau, le Commissariat général à l’éducation générale et aux sports qui « introduit l’autoritarisme vichyste dans un espace social théoriquement neutre ».


« Sport » dans les ghettos et dans l’univers concentrationnaire nazi
Dans les camps d'internement, dont celui de Pithiviers (France), certains pratiquent des activités sportives.
De pratique autorisée dans les premiers camps de concentration et les ghettos, le sport est transformé dans son essence par les Nazis pour devenir un supplice dans les centres de mise à mort. En effet, « dans la phraséologie nazie, le terme de « sport » a pu recouvrir différentes significations mortifères comme chasse aux Juifs sans défense, humiliation physique, ou mise à mort ».

Dans la « première période des camps de concentration de Dachau, Buchenwald, ou Poniatowa, les déportés politiques rejoints par les prisonniers de guerre ont pu pratiquer le sport, comme d’autres activités (théâtre, musique, conférences) ».

Dans les ghettos – Lodz, Varsovie -, les populations organisent des séances de gymnastique pour garder des « repères de normalité et de liberté ». Pour les habitants Juifs des ghettos, les « exercices physiques peuvent aussi être transformés par les persécuteurs en brimades et humiliations : séances de gymnastique au sol dans les rues boueuses de Varsovie, flexions des genoux avec les bras tendus en avant jusqu’à épuisement à Thessalonique, ou bien encore courses de chevaux humains sous les huées à Minsk ». Le « processus nazi de déshumanisation brouille les frontières entre la vie et la mort ». Sur une partie du cimetière Juif de Lublin, des Juifs du ghetto de cette ville polonaise sont contraints de construire le terrain de sport et le complexe nautique de la SS.

À Terezín, « des simulacres de courses sont imposées aux prisonniers pour tester leur aptitude au travail forcé : leur performance déterminait leur survie. Survivre si, et seulement, si on est vainqueur à la course ».

Dans les centres de mise à mort, le sport se présente sous des formes extrêmes comme ces quelques matchs de football attestés entre SS et Totenjüden à Belzec ou bien entre SS et Sonderkommandos à Auschwitz. Les champions Juifs, lorsqu’ils sont reconnus, sont très souvent humiliés et victimes de tortures « sportives ».

Résister dans et par le sport
Des résistants comme Marcel Rayman ou Rino Della Negra ont un passé sportif.

Les motifs de la résistance ? Le « sursaut patriotique, le niveau de conscience politique, le désir de vengeance, l’inconscience du danger souvent propre à la jeunesse, l’effet d’entraînement qu’impliquent les liens de camaraderie et de solidarité ».

Parmi « les héros français du sport » dont les biographies sont publiées par Bernard Busson en 1947, les « athlètes qui ont combattu sous l’uniforme en 1939-40 et en 1944-45 sont plus nombreux que les sportifs devenus combattants de l’ombre ».

En Allemagne, quelques athlètes tels Werner Seelenbinder et Albert Richter ont résisté au régime nazi, démontrant « une opposition à l’embrigadement et l’idéologie officiels ». Pour avoir perdu et sympathisé avec Jesse Owens lors des J.O. de Berlin (1936), le sauteur en longueur Carl Ludwig « Luz » Long est affecté sur le front italien où il meurt en 1943 lors de la bataille de San Pietro.

Les activités sportives, lorsqu’elles sont autorisées, ont pu servir de couverture à des formes d’organisation résistante. Ainsi, le préfet Bousquet dissout des clubs de ping-pong parisiens au motif qu’ils dissimulent d’anciennes cellules communistes. La section socialiste de Toulouse, qui refuse de se rallier au nouveau conseil municipal, se reconstitue sous la forme d’une association sportive. À Orléans, les dirigeants locaux de la résistance s’activent au sein des clubs dans lesquels ils étaient déjà actifs avant-guerre. Les « déplacements sportifs peuvent également couvrir des activités de résistance et les foules des stades servir de refuge aux combattants ». Créé en 1941 par Robert Mension et Auguste Delaune, Sport Libre est le seul mouvement sportif clandestin français. Il illustre « la participation du sport ouvrier aux combats de la Résistance et, plus précisément, un prolongement dans le stade de l’action résistante communiste. Tandis qu’Auguste Delaune est arrêté par la police de Vichy et torturé à mort en 1943, son camarade Robert Mension devient l’un des principaux dirigeants des jeunesses communistes ».

Le sport, en particulier « sous sa forme de culture physique, est un pourvoyeur d’énergie et un reconstituant psychique. Les maquisards ont pu l’utiliser, par exemple, pour se maintenir en forme et se préparer au combat. Après la dissolution par Pierre Laval de l’École des cadres d’Uriage créée par le régime de Vichy pour former l’élite française, l’animateur Joffre Dumazedier entre dans la clandestinité et développe sa pédagogie du sport auprès des militants ajistes de la région Rhône-Alpes ».

Ingénieur et professeur d'éducation physique, le résistant Georges Loinger utilise ses activités physiques et sportives, et de scoutisme, pour éduquer et sauver des enfants Juifs en les faisant passer en Suisse.

Le sport, comme défi dans les situations les plus dramatiques ? Le champion de natation français Alfred Nakache et le jeune Noah Klieger nagent dans une citerne d’Auschwitz à l’insu de leurs bourreaux. Pour « se prouver qu’ils n’ont pas été privés de toute humanité, et aussi pour redonner courage à leurs compagnons d’infortune ».

Sport, régimes totalitaires ou autoritaires et cinéma
Ces relations complexes entre sport et régimes totalitaires ont inspiré de nombreux films, dont Les Dieux du stade de Leni Riefenstahl (Allemagne, documentaire, 1936), Le boxeur et la mort de Peter Solan (Tchécoslovaquie, 1963) et L’Enclos d’Armand Gatti, ancien déporté au camp de Lindemann (France, Yougoslavie, 1961) - dans ces deux films, l’action se déroule dans un camp de concentration -, Alfred Nakache, le nageur d’Auschwitz de Christian Meunier (France, documentaire, 2001), Albert Richter, le champion qui a dit non de Michel Viotte (France, documentaire, 2005), Watermarks de Yaron Zilberman (Israël, France, Etats-Unis, documentaire, 2006) sur l’Hakoah.


Londres 1948, des Jeux de sortie de guerre
Malgré la paix et la liberté, l’après-guerre s’avère difficile et empli de défis à relever : reconstruire des économies, transformer des économies de guerre en économie de paix, relancer des sociétés et des démocraties affaiblies et rendues exsangues par la Seconde Guerre mondiale… Tout ceci rend nécessaire au préalable « la reconstitution des organismes et le ressourcement des psychismes ».

La vie quotidienne des Européens consiste à s’alimenter – les bons d’alimentation ont encore cours -, à découvrir, et pour certains oublier, les atrocités (Shoah), récupérer un état de santé anémiée par les privations. Ces priorités économiques et alimentaires basiques passent avant les activités sportives.

C’est à Londres, cité de résistance et bombardée, que le Comité international olympique (CIO), confie la tache de relancer en 1948 le cycle olympique interrompu à Berlin (1936) – les J.O. de 1940 sont annulés en raison du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Organisés « dans la bonne humeur et grâce au système D, les « jeux de l’austerity » sont présentés comme une contribution britannique au relèvement du monde ».

Un an après l’indépendance du sous-continent indien, les piètres résultats des athlètes anglais, qui ne remportent que trois médailles, symbolisent plutôt un déclin de l’Empire britannique. Grâce à l’absence des nations exclues, la France « sauve son statut de grande puissance en terminant troisième, au nombre de médailles, derrière les États-Unis et la Suède ».

Les performances réalisées lors des Jeux Olympiques de Londres (29 juillet – 14 août 1948) sont souvent inférieures à celles de 1936, car les organismes sont affaiblis. Douze années les J.O de Berlin, nombre de champions sont morts au front, en résistant ou en déportation. Certains « font toutefois figure de ressuscités » : le tireur au fusil philippin Martin Gison, arrivé quatrième à Berlin, fait prisonnier par les Japonais et obligé de participer à la marche de la mort de Bataan, le tireur au pistolet Karoly Takacs, champion du monde par équipes pour la Hongrie en 1938, médaillé d’or à Londres avec sa main gauche car il a perdu sa main droite à la suite de l'explosion d'une grenade, le nageur français Alfred Nakache, éprouvé par sa déportation à Auschwitz, est qualifié pour Londres mais sans pouvoir atteindre la finale du 200 m brasse.

Le cavalier français André Jousseaume en dressage par équipe, l’épéiste italien Edoardo Mangiarotti, le gymnaste suisse Michael Reusch, les Hongrois Jenö Brandi (polo), Jozsef Varszegi (javelot), Aladar Gerevitch (sabre) et Ilona Helek (fleuret), l'haltérophile américain John Terpak, le marathonien sud-africain Johannes Coleman... Tels sont les athlètes ayant participé voire obtenu des médailles aux Jeux Olympiques de 1936 et de 1948.

Ces Jeux de Londres de l’année 1948 symbolisent le monde libre et la résistance au nazisme.
 

Itinéraires biographiques

Gretel Bergmann
Athlète Juive allemande, Gretel Bergmann a été championne internationale de saut en hauteur.

Expulsée de son club d’athlétisme en 1933, elle se réfugie au Royaume-Uni où elle s’illustre comme une championne nationale.

En septembre 1935, la fédération sportive allemande d’athlétisme l’invite à intégrer l’équipe olympique allemande qui s’entraine pour les Jeux Olympiques de Berlin (1936). Le régime nazi tente ainsi d’apaiser les mouvements de contestation exhortant au boycott de ces Jeux et de redorer l’image de l’Allemagne en la présentant comme une nation pacifique ne discriminant pas les Juifs. A Berlin, Gretel Bergmann s’entraîne avec l’équipe allemande.

Le 30 juin 1936, un mois avant les Jeux Olympiques, Gretel Bergmann saute 1,60 mètre et bat le record d’Allemagne. A la fin du stage de préparation, elle est évincée de l’équipe nationale allemande en alléguant des « performances insuffisantes ».

« Humiliée, Gretel Bergmann s’exile en 1937 aux Etats-Unis où elle poursuit sa carrière jusqu’en 1939. Après son mariage avec l’athlète Bruno Lambert, elle prendra son nom, devenant Margareth Lambert ».

Son record de 1936 ne sera reconnu par la fédération allemande d'athlétisme qu’en 2009.


Ilona Elek, Helene Mayer et Ellen Preis
« Au regard des lois nazies de Nuremberg, ce sont trois « demi-juives » (Mischlinge), qui occupent le podium olympique du fleuret féminin à Berlin en 1936 ». Médaillée d’argent, Helene Mayer effectue le salut nazi.

D'origine juive par son père, médecin réputé et patriote, Helene Mayer jouit d’une immense popularité en Allemagne depuis sa victoire aux jeux d'Amsterdam en 1928 à l'âge de 17 ans. En Californie, elle étudie le droit après les jeux de Los Angeles. Là, elle apprend en 1933 sa radiation du club d’Offenbach.

« Incarnation de la parfaite « aryenne » pour les nazis, se considérant elle-même comme Allemande, elle répond favorablement à l'invitation d’Hitler de participer aux Jeux de Berlin. Son ambition sportive et sa naïveté politique, davantage que la crainte de représailles pour sa famille, en font la caution du régime nazi et de tous les adversaires du boycott ». Elle continue sa carrière aux Etats-Unis, puis revient vivre en République fédérale d’Allemagne (RFA), Allemagnede l’ouest, après la Seconde Guerre mondiale.

Quant à ses deux rivales, elles « connaissent une longévité olympique remarquable : une nouvelle médaille d’or à Londres en 1948 et l’argent à Helsinki en 1952 pour la Hongroise Ilona Elek, le bronze à Londres et une honorable septième place à Melbourne en 1956 pour l’Autrichienne Ellen Preis ».
Noah Klieger
Né en 1926 à Strasbourg, Noah Klieger est Arrêté sur dénonciation, et déporté à Auschwitz le 15 janvier 1943.

Il échappe à la sélection grâce au champion du monde des poids mouche Victor « Young » Perez qui lui suggère de se présenter comme un boxeur. Il entre dans l’équipe de boxe d’Auschwitz- III (Buna-Monovitz) créée par le commandant Schwartz. Les combats se déroulent le dimanche d’octobre 1943 à mai 1944.

Après 1945, ce journaliste embarque sur l’Exodus, fait son aliyah, et combat pour l’indépendance du pays.

Il écrit pour Yediot Aharonot et L’Equipe.


Georges Loinger
Ingénieur et professeur d'éducation physique, le résistant Georges Loinger utilise ses activités physiques et sportives, et de scoutisme, pour influer positivement sur le moral des enfants Juifs accueillis avant guerre et ceux réfugiés dans les quatorze « maisons » de zone non-occupée, et fait passer des enfants Juifs en Suisse, notamment via un terrain de sport d’Annemasse près de la frontière.

Le sport sert alors à éduquer – « programmes sportifs et compétitions comme vecteur d’épanouissement personnel et collectif » - et à sauver.

A la fin de la guerre, Georges Loinger crée le service de l’éducation physique et l’association Sport et Joie, et participe à l’aliyah clandestine vers la Palestine mandataire.

Alfred Nakache
Né à Constantine, Alfred Nakache devient, dans les années 1930, aux côtés de Jean Taris, une « figure emblématique de la natation française » en multipliant les exploits sportifs.

Surnommé « Artem », il « s’illustre en brasse papillon et enchaîne titres, médailles et « Unes » de la presse. A plusieurs reprises champion de France, il poursuit cette ascension sportive jusqu’à l’été 1942.

Le régime du Maréchal Pétain, tout en adoptant une législation antisémite qui fait des Juifs de France des citoyens de seconde zone, autorise Alfred Nakache à nager pour défendre les couleurs nationales ».

Mais « le paradoxe ne dure pas : le champion est la cible des attaques des journaux antisémites tandis que le Commissariat à l’Education générale et aux Sports lui interdit de participer aux championnats de France en 1943 ».

Après l’échec d’une tentative de fuite via l’Espagne, Alfred Nakache est arrêté en 1943, et déporté à Auschwitz en janvier 1944 avec sa femme et leur fille. Celles-ci sont assassinées dès leur arrivée.

AlfredNakache est affecté au camp d’Auschwitz III-Monowitz. « Il nage encore. Il s’agit parfois d’actes de résistance et de dignité humaine face à l’indicible ; à d’autres reprises, dans le bassin de rétention d’eau, il est question de l’arbitraire d’un garde SS qui lui impose une pratique de la nage, instrument de soumission en allant chercher les clés et les cailloux qui lui sont lancés au fond d’une citerne d’eau croupie et glacée. L’expérience concentrationnaire vécue par Alfred Nakache est marquée du sceau de son statut de champion de natation. Elle a largement contribué à construire l’image du « nageur d’Auschwitz ».

De retour des camps, Alfred Nakache parivent à reprendre la natation, à se faire sélectionner aux Jeux Olympiques de 1948, douze ans après sa participation aux J.O. de Berlin (1936).

A l'occasion du Yom HaShoah (19 avril 2012), la mairie de Netanya a donné le nom du nageur Alfred Nakache à la salle de sports de l'école Shaï Agnon de cette ville israélienne. Puis a été inaugurée la salle de sports du lycée Sharett qui désormais porte le nom du boxeur Victor Young Perez. 

Albert Richter
Albert Richter est l’un des plus grands coureurs cyclistes allemands de l’entre-deux-guerres.

Malgré l’emprise des nazis, Richter demeure fidèle à son entraineur Juif, Ernst Berliner.

Il est le seul cycliste à s’opposer publiquement à l’autorité des Nazis.

Le 3 janvier 1940, Richter est retrouvé mort dans des circonstances non élucidées.

Le sport européen à l’épreuve du nazisme. Des JO de Berlin aux JO de Londres (1936–1948). Ed. Mémorial de la Shoah, 2011. 126 pages. ISBN : 9782916966625




Visuels :
Affiche
Athlète au disque.
Photographie de Liselotte Grschebina, 1937.
Liselotte Grschebina, photographe juive allemande, quitte l’Allemagne nazie en 1934 pour s’installer à Tel Aviv. Elle réalise en 1937 une série de photographies de sportifs juifs dont l'esthétisme n'est pas sans rappeler les sources d’inspiration et les réalisations de Leni Riefenstahl notamment pour son film Olympia. © Le Musée d’Israël, Jérusalem


Séance de gymnastique lors d’une fête sportive à la maison d’enfants du château de Chabannes. France, 25 août 1942.
La photographie a été prise la veille de la rafle du 26 août 1942.
Coll. Mémorial de la Shoah/CDJC/Fonds OSE/Coll. Rosner.


Groupe d’étudiants à ski d’une université fasciste s’entrainant dans les Alpes italiennes.
Italie, années 1930.
© AKG-images


Lanceur de poids, lors du championnat du Maccabi et du Reichsbundes jüdischer Frontsoldaten (RJF, association sportive des vétérans juifs d’Allemagne). Berlin, Allemagne, 14 juillet 1935.
© AKG-images/Abraham Pisarek.


Démonstration effectuée par Moshe Feldenkrais au Jiu-Jitsu-Club de France.
Paris, 10 février 1939. Coll. Michel Brousse


Carte postale publiée à l'occasion des IIe Maccabiades.
Tel Aviv, Palestine mandataire, 2 au 10 avril 1935.
Coll. Mémorial de la Shoah/CDJC.


L’Olympiastadion, construit par les nazis pour les Jeux Olympiques de Berlin de 1936.
Coll. Mémorial de la Shoah/CDJC.

 Pas un athlète à Berlin ! Comité d’action contre le déroulement des Jeux Olympiques à Berlin, France, 1936. Affiche, [40,1 x 60,1 cm]. Coll. Mémorial de la Shoah/CDJC.


Luz Long et Jesse Owens le long de la piste lors de la finale du saut en longueur des Jeux Olympiques.
Berlin, Allemagne, 1936.
Coll. George Eisen


Le sport, cette chevalerie moderne.
France, 1940.
Affiche éditée par le Commissariat général à l’Education générale et aux Sports. [123 x 166,5 cm]
Coll. Mémorial de la Shoah/CDJC.


Les Messagers du Sport.
France, 1941.
Affiche du film de propagande tourné au cours de la tournée Borotra en Afrique du Nord.
Coll. Mémorial de la Shoah/CDJC.


Armée nouvelle.
France, 1941.
Coll. Mémorial de la Shoah.

« Jeunesse et montagne ».
France, 1940-1944.
Affiche éditée par le Commissariat à l’Education générale et aux Sports.
Coll. Mémorial de la Shoah/CDJC.


Internés membres du groupe sportif de la baraque 10 du camp d’internement de Pithiviers (Loiret).
France, mai 1941-juin 1942.
Coll. Mémorial de la Shoah/CDJC/Coll. Krauzman


Le « sport » dans le ghetto de Salonique.
Grèce, 1942.
Sous les ordres des nazis, les Juifs sont obligés de faire des exercices sportifs jusqu’à épuisement.
Coll. Mémorial de la Shoah/CDJC.


Activités sportives pour les enfants d’une maison du Secours suisse aux Enfants.
Chambon-sur-Lignon, France, 1941-1944.
Coll. Mémorial de la Shoah /CDJC/Auguste Bohny


Alfred Nakache nageant le 200 m papillon lors des championnats de France de natation.
Toulouse, France, 1941.
Coll. Mémorial de la Shoah/CDJC

Carte postale éditée pour promouvoir les Jeux Olympiques de 1940.
Allemagne, 1939.
Les Jeux Olympiques d’hiver de Garmisch-Partenkirchen et les Jeux Olympiques d’été d’Helsinki sont annulés respectivement en novembre 1939 et en avril 1940 à cause de la guerre.
Coll. Mémorial de la Shoah/CDJC.

La championne de saut en hauteur Gretel Bergmann remporte le record de saut féminin avec 1,60 m de hauteur au Championnat sportif du Reichsbundes jüdischer Frontsoldaten (RJF, Association sportive des vétérans juifs d'Allemagne) sur le terrain de sport de la communauté sportive de Berlin-Grünewald.
Berlin, Allemagne, juillet 1936.
© Bildarchiv Pisarek/AKG-images