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dimanche 13 octobre 2013

Industriels et banquiers sous l' occupation nazi...

JPEG - 36.5 koIndustriel et banquiers français sous l’occupation
de : Jacques-Marie BOURGET
jeudi 10 octobre 2013 -
Industriels et banquiers français sous l’occupation. (Éditions Armand Colin. 816 pages. 35 euros)
Grands ou petits savants, chercheurs, étudiants ou simples passionnés d’histoire, si vous fouillez dans une salle d’archives et qu’un grand carton se met à bouger, n’ayez pas peur, c’est Annie Lacroix-Riz qui vit à l’intérieur. Dans le monde des dépouilleurs, de notes, rapports, mémoires ou pactes, cette obsédée du document est médaillée aux J.O de la connaissance par le grimoire. Mais pourquoi Annie Lacroix-Riz - qui nous sert aujourd’hui le plat glacé, la cigüe d’un livre « Industriels et banquiers français sous l’occupation » (éditions Armand Colin)- a-t-elle besoin de s’abriter derrière la vérité des traces écrites laissées par les acteurs de l’histoire ? C’est que la dame n’est pas l’amie de tout le monde. Ancienne élève de Normale Sup et professeur émérite à Paris 7, elle reste un penseur en quarantaine. Pour la détester, parfois la diffamer, nous avons d’ un côté les industriels et banquiers, toujours en place, dont les ascendants sont mis à nu. Et certains, nous a démontré l’historienne, en France pendant la seconde guerre, ont consciencieusement produit ce Zyclon B qui était l’outil de la « solution finale ». A minima, tous ces bons gestionnaires ont collaboré « économiquement » au bonheur de l’Allemagne. L’autre « ennemi » d’Annie Lacroix-Riz, c’est la pensée unique. Celle de ses collègues qui tiennent les clés de coffres vides, ceux de l’histoire officielle. Tous, à l’époque où « c’était porteur » ont pris leur carte au PCF. Avant d’écrire « mon dieu quelle horreur », au moment où les soviets passent de mode. Lacroix-Riz, sans renoncer, sauf à sa carte du PC, continue fièrement de labourer le sillon marxiste. Il ne conduit ni aux pages culture du Monde ni à un emploi de consultant au FMI.
Les tranchées étant creusées, que nous dit l’historienne qui, en 1999 avant l’ouverture des archives de l’instruction des procès faits aux ministres de Vichy, avait déjà abordé le sujet ? Dans son premier opus elle laissait une toute petite porte ouverte sur le doute : « après tout, les industriels et banquiers, en tous cas certains, n’ont peut-être collaboré que menacés d’un pistolet sur la tempe … ». Du volume d’aujourd’hui, lourd de 816 pages, tombe le verdict : « non la collaboration économique, sauf exception, n’a rien eu de forcé ». Mieux, elle fut une jubilation pour ces « managers » qui, par la nouvelle Europe avec à sa tête le grand Reich, vivaient une première forme de mondialisation.
Révolution économique qui serait une divine surprise apportée dans les banques et usines par les fourgons d’Hitler ? Pas du tout, nous dit Lacroix-Riz. L’entente, le premier tissage des liens, l’élaboration du rêve remontent bien avant l’invasion de la France. Avant même l’arrivée du chef nazi comme chancelier, nombre de représentants des « 200 familles » trouvaient que ce révolutionnaire avait de bonnes idées. Après 1936, au motif que « mieux vaut Hitler que le Front populaire », le patronat a choisi le modèle allemand avant qu’il ne débarque sous l’Arc de triomphe.
Les entrepreneurs nazis installés en France, on à assisté, Lacroix-Riz nous le montre, à la création de cartels, au pillage de matières premières et de produits fabriqués qui prenaient la couleur de l’Europe nouvelle en prenant le train pour Berlin. Les « capitaux juifs », bien sûr, devenant aryens dès qu’un collabo français les livrait à l’édification du III e Reich. Sainte pudeur, ne parlons pas des biens coloniaux pillés par l’Allemagne jusqu’en Afrique, grâce à la bonne volonté et au zèle du patronat français…
Dans les usines de l’hexagone, celles qui tournaient encore, il s’agissait de mouiller sa chemise pour le bien des hommes nouveaux. Avec une politique sociale exemplaire : baisse des salaires, concentration du capital et hausse des profits. Pour expliquer la douleur, le maître de l’usine accusait le poids de l’occupant tout en grossissant un bas de laine qui, aujourd’hui encore, n’a pas été détricoté.
La table des matières, et celle des noms cités, est le pire du livre. Le pire pour l’honneur perdu de ceux qui, le 18 août 44, ont eu le temps d’arracher la Francisque de leur veste pour y agrafer le V des FFI. Leurs petits papiers sont là, dans le livre, et pas oubliés. Tels l’œil de la tombe ils les regardent.
Ceux qui estiment qu’un tel livre va faire un foin, provoquer des divorces au motif que le grand père a fait notre fortune, payé notre château, en vendant du beurre aux Allemands, se trompent. Annie Lacroix-Riz, si elle est une femme d’archives, est par là même une historienne de placard : rien ne doit être dit, ou publié sur ces écrits qui ravivent des querelles oubliées, simples incartades du temps. En 1945, grandeur et unité du pays oblige, De Gaulle n’a pas souhaité demander des comptes à des industriels et banquiers fort utiles pour « relever la France ». Et Mitterrand n’a-t-il pas sonné la paix finale depuis le wagon du TGV qui la conduit de Vichy à l’Élysée. Avec Bousquet en chef de gare.

2 Commentaires
Industriel et banquiers français sous l’occupation par Arnold 
Pour prolonger, je vous recommande aussi la lecture de "Big Business avec Hitler" de Jacques R. Pauwels éditions aden.
La 4e de couverture :
Hitler a comblé les attentes qu’industriels et banquiers avaient placées en lui. En effet, il réalisa tous les points importants de leur "programme" plus diligemment, plus complètement et plus impitoyablement qu’ils auraient pu ou osé le faire eux-mêmes.
En outre à, à l’issue de 12 années d’une dictature nazie dont ils avaient pourtant été les parrains, banquiers et industriels rejetteraient tous les crimes sur le dos d’Hitler et plaideraient pieusement "non coupables".
Ce livre d’histoire bien documenté est de ceux dont l’élite économique ne souhaite pas entendre parler"
.
Par ailleurs sachez que "Le mythe de la bonne guerre" du même auteur vient d’être réédité. Formidable bouquin où l’on apprend par exemple les raisons pour lesquelles les américains évitaient de bombarder les usines Ford en Allemagne ou bien comment les pétroliers ricains ont fournis près de 90 % du pétrole à Hitler.

Industriel et banquiers français sous l’occupation par Arnold
La Deuxième Guerre Mondiale, une croisade américaine pour la défense de la liberté et de la démocratie ? Les vainqueurs écrivant l’histoire, c’est cette version qui est enseignée depuis 1945 des deux côtés de l’Atlantique.
Jacques Pauwels, preuves à l’appui, dévoile le mythe de la « libération ». Aux États-Unis, Hitler a très longtemps été considéré comme un excellent partenaire en affaires mais dans une guerre qui ne se déroule pas comme prévu, les alliances finissent alors par se former contre les « mauvais ennemis », avec les « mauvais alliés »...
Le débarquement de Normandie qui ne survient que très tard, le 6 juin 1944, fera malgré tout de ce second conflit mondial une formidable aubaine financière pour les États-Unis. En libérant une partie de l’Europe des fascistes pour la « dominer » économiquement, toutes les conditions sont également réunies dès 1945 pour entamer une très longue Guerre froide...
Un livre incontournable sur l’Amérique et la Seconde Guerre mondiale
MCD a rencontré son auteur, le professeur canado-gantois Jacques Pauwels.
Jacques Pauwels. Aux États-Unis, on présente les guerres de Corée et du Vietnam comme de mauvaises guerres. Mais la Seconde Guerre mondiale était une bonne guerre. Ses motivations étaient « pures » et on s’en allait au combat pour la paix et la justice. C’est aussi l’image présentée par Hollywood dans des films comme Le jour le plus long et Un pont trop loin. Je pose la question : Pour qui cette guerre a-t-elle été bonne ?
Pour les entreprises de l’Allemagne nazie, la guerre a été une source de profit exceptionnelle. La General Motors et Ford ont fait des bénéfices énormes. Opel et Ford-Werke, leurs filiales allemandes, ont contribué à la construction de véhicules militaires pour la Wehrmacht et d’avions pour la Luftwaffe. Texaco et Standard Oil ont participé à la livraison de carburant pour les chars et les avions.
Ces mêmes entreprises ont également fait des affaires en or avec la Grande-Bretagne. L’industrie américaine a soutenu tous les belligérants. On a produit Jeeps, camions et avions à la chaîne. Le chômage a baissé et les bénéfices ont grimpé. En outre, la Seconde Guerre mondiale a ouvert toutes grandes les portes du monde entier aux marchandises et aux capitaux américains.
Les industriels américains n’étaient-ils pas horrifiés par le fascisme ?
Jacques Pauwels. On ne peut comprendre leur attitude à l’égard du fascisme que lorsqu’on comprend l’attitude de l’élite envers le communisme. Chez beaucoup d’Américains est née une sorte d’enthousiasme pour une alternative révolutionnaire après le succès de la révolution russe. Le péril rouge était une épine dans l’il de l’élite industrielle. Les journaux du magnat de la presse Hearst ont diffusé massivement la haine à l’égard du bolchevisme. L’Italie et l’Allemagne semblaient proposer une bonne échappatoire à la force croissante du communisme. Les journaux du groupe Hearst vantaient l’Allemagne de Hitler en tant que bastion contre le communisme. Et Hitler suivait les règles du jeu capitaliste : aucune entreprise ne fut expropriée ou nationalisée. Le fascisme était bon pour les affaires et, par conséquent, les hommes d’affaires américains étaient les amis du fascisme. Le grand patron de Texaco, Torkild Rieber, par exemple, admirait Hitler et était l’ami de Göring, le numéro deux du Troisième Reich.
Par la suite, l’Union Soviétique est devenue une « alliée utile », aux yeux des Américains. L’Armée rouge faisait face sur le front de l’Est alors que les pertes américaines restaient limitées
Jacques Pauwels. À l’origine, la direction de l’armée américaine pensait que l’armée allemande allait entrer dans l’Union soviétique comme dans du beurre et la vaincre en quelques semaines. Mais, le 5 décembre 1941, il se passe une chose que personne n’aurait imaginée. Non seulement l’armée soviétique réduit la machine de guerre nazie à l’immobilité, mais en plus, ce jour-là, elle passe à la contre-attaque. Ce fut le tournant de la guerre.
Quand l’industrie américaine comprend que le gouvernement soviétique ne va pas se retrouver à genoux, elle reçoit un nouveau partenaire commercial : Moscou. Dès ce moment, les Américains deviennent « antifascistes », mais ils restent naturellement anticommunistes. Le futur président Truman a dit à l’époque : « Si l’Allemagne gagne, nous devons aider la Russie et si la Russie gagne, nous devons aider l’Allemagne, ainsi il en mourra le plus possible dans les deux camps ennemis »
Les Américains entrent en guerre sans le vouloir lorsque Hitler leur déclare la guerre après l’attaque surprise japonaise contre Pearl Harbor. Brusquement, l’Union soviétique se mue en alliée et la presse met son anticommunisme quelque peu en veilleuse. L’Union soviétique est un partenaire mal aimé mais très utile. 90% des pertes allemandes sont à porter au compte de l’Armée rouge. À Stalingrad, l’armée allemande reçoit un coup dont elle ne pourra plus se relever : 300000 hommes sont taillés en pièces.
Après Stalingrad, tout est différent, l’Armée rouge s’est mise en route pour Berlin. Personne ne parle de l’enjeu politique du Jour le plus long ou D-Day, le débarquement de Normandie tant attendu. Le débarquement était censé donner aux alliés la possibilité d’atteindre Berlin avant l’Armée rouge.
Dans votre ouvrage, vous parlez de ce qu’on a appelé l’option allemande, la possibilité d’un changement d’alliance avant même que la guerre soit terminée. Le général Patton et le sénateur Taft ont proposé de foncer sur Moscou en compagnie de la Wehrmacht. Quel était le sérieux de cette proposition ?
Jacques Pauwels. C’était une option attrayante, mais l’opinion publique ne l’aurait jamais acceptée. Pas en Europe, et pas aux Etats-Unis non plus où, entre-temps, l’Armée rouge avait acquis beaucoup de prestige auprès du peuple et auprès des GI.
Mais les Américains ont laissé l’armée allemande intacte. Et ils ont encouragé les officiers allemands capturés à rédiger des rapports sur leurs expériences en Union soviétique. Par la suite, ils ont également transféré des espions nazis comme Reinhard Gehlen en Amérique, et même pris sous leur protection des criminels de guerre comme Mengele et Barbie en vue de les utiliser contre le communisme. Les partisans italiens ont été désarmés et mis hors-jeu. Le maréchal Badoglio, ancien collaborateur de Mussolini, a pu diriger le premier gouvernement italien de l’après-guerre.
Comme par magie, l’Union soviétique redevient le grand épouvantail du « monde libre ». Pour l’intimider, les alliés anéantissent Dresde, une ville sans la moindre utilité militaire, au moyen de 750000 bombes au phosphore. Pour la même raison, ils larguent des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki. Ce faisant, les Américains entament leur nouvelle guerre, la guerre froide. Et, un demi-siècle durant, ils ont tenu le reste du monde sous l’ombre glaciale d’une possible guerre nucléaire.
Aux États-Unis, une théorie a la peau dure. Toute l’histoire s’expliquerait à l’aide de quelques grands noms : l’Amérique, c’est Roosevelt, l’Allemagne Hitler, etc. Il n’en va pas ainsi, bien sûr. L’histoire n’est pas une question d’actes héroïques des grands dirigeants. C’est une question de forces économiques et sociales qu’un historien se doit de rendre compréhensibles. J’ai fait un survol de la guerre, une synthèse qui s’intéresse plutôt à l’ensemble qu’aux détails.
APL

mercredi 11 septembre 2013

La liberté par Benjamin Constant...

Benjamin Constant

De la liberté des anciens comparée à celle des modernes(1819)

Texte intégral

Note
Discours prononcé à l'Athénée royal de Paris.
Messieurs
Je me propose de Vous soumettre quelques distinctions, encore assez neuves, entre deux genres de liberté, dont les différences sont restées jusqu'à ce jour inaperçues, ou du moins, trop peu remarquées. L'une est la liberté dont l'exercice était si cher aux peuples anciens; l'autre celle dont la jouissance est particulièrement précieuse aux nations modernes. Cette recherche sera intéressante, si je ne me trompe, sous un double rapport.
Premièrement, la confusion de ces deux espèces de liberté a été parmi nous, durant des époques trop célèbres de notre révolution, la cause de beaucoup de maux. La France s'est vue fatiguer d'essais inutiles, dont les auteurs, irrités par leur peu de succès, ont essayé de la contraindre à jouir du bien qu'elle ne voulait pas, et lui ont disputé le bien qu'elle voulait. En second lieu, appelés par notre heureuse révolution (je l'appelle heureuse, malgré ses excès, parce que je fixe mes regards sur ses résultats) à jouir des bienfaits d'un gouvernement représentatif, il est curieux et utile de rechercher pourquoi ce gouvernement, le seul a l'abri duquel nous puissions aujourd'hui trouver quelque liberté et quelque repos, a été presque entièrement inconnu aux nations libres de l'antiquité.
Je sais que l'on a prétendu en démêler des traces chez quelques peuples anciens, dans la république de Lacédémone, par exemple, et chez nos ancêtres les Gaulois; mais c'est à tort.
Le gouvernement de Lacédémone était une aristocratie monacale, et nullement un gouvernement représentatif. La puissance des rois était limitée; mais elle l'était par les éphores, et non par des hommes investis d'une mission semblable à celle que l'élection confère de nos jours aux défenseurs de nos libertés. Les éphores, sans doute, après avoir été institués par les rois, furent nommés par le peuple. Mais ils n'étaient que cinq. Leur autorité était religieuse autant que politique; ils avaient part à l'administration même du gouvernement, c'est-à-dire, au pouvoir exécutif; et par là, leur prérogative, comme celle de presque tous les magistrats populaires dans les anciennes républiques, loin d'être simplement une barrière contre la tyrannie, devenait quelquefois elle-même une tyrannie insupportable.
Le régime des Gaulois, qui ressemblait assez à celui qu'un certain parti voudrait nous rendre, était à la fois théocratique et guerrier. Les prêtres jouissaient d'un pouvoir sans bornes. La classe militaire, ou la noblesse, possédait des privilèges bien insolents et bien oppressifs. Le peuple était sans droits et sans garanties.
A Rome, les tribuns avaient, jusqu'à un certain point, une mission représentative. Ils étaient les organes de ces plébéiens que l'oligarchie, qui, dans tous les siècles, est la même, avait soumis, en renversant les rois, à un si dur esclavage. Le peuple exerçait toutefois directement une grande partie des droits politiques. Il s'assemblait pour voter les lois, pour juger les patriciens mis en accusation: il n'y avait donc que de faibles vestiges du système représentatif à Rome.
Ce système est une découverte des modernes, et vous verrez, Messieurs, que l'état de l'espèce humaine dans l'antiquité ne permettait pas à une institution de cette nature de s'y introduire ou de s'y établir. Les peuples anciens ne pouvaient ni en sentir la nécessité, ni en apprécier les avantages. Leur organisation sociale les conduisait à désirer une liberté toute différente de celle que ce système nous assure.
C'est à vous démontrer cette vérité que la lecture de ce soir sera consacrée.
Demandez-vous d'abord, Messieurs, ce que, de nos jours, un Anglais, un Français, un habitant des États-Unis de l'Amérique, entendent par le mot de liberté.
C'est pour chacun le droit de n'être soumis qu'aux lois, de ne pouvoir être ni arrêté, ni détenu, ni mis à mort, ni maltraité d'aucune manière, par l'effet de la volonté arbitraire d'un ou de plusieurs individus: C'est pour chacun le droit de dire son opinion, de choisir son industrie, et de l'exercer, de disposer de sa propriété, d'en abuser même; d'aller, de venir sans en obtenir la permission, et sans rendre compte de ses motifs ou de ses démarches. C'est, pour chacun, le droit de se réunir à d'autres individus, soit pour conférer sur ses intérêts, soit pour professer le culte que lui et ses associés préfèrent, soit simplement pour remplir ses jours ou ses heures d'une manière plus conforme à ses inclinations, à ses fantaisies. Enfin, c'est le droit, pour chacun, d'influer sur l'administration du Gouvernement, soit par la nomination de tous ou de certains fonctionnaires, soit par des représentations, des pétitions, des demandes, que l'autorité est plus ou moins obligée de prendre en considération. Comparez maintenant à cette liberté celle des anciens.
Celle-ci consistait à exercer collectivement, mais directement, plusieurs parties de la souveraineté toute entière, à délibérer, sur la place publique, de la guerre et de la paix, à conclure avec les étrangers des traités d'alliance, à voter les lois, à prononcer les jugements, à examiner les comptes, les actes, la gestion des magistrats, à les faire comparaître devant tout le peuple, à les mettre en accusation, à les condamner ou à les absoudre; mais en même temps que c'était là ce que les anciens nommaient liberté, ils admettaient comme compatible avec cette liberté collective l'assujettissement complet de l'individu à l'autorité de l'ensemble. Vous ne trouvez chez eux presque aucune des jouissances que nous venons de voir faisant partie de la liberté chez les modernes. Toutes les actions privées sont soumise à une surveillance sévère. Rien n'est accordé à l'indépendance individuelle, ni sous le rapport des opinions, ni sous celui de l'industrie, ni surtout sous le rapport de la religion. La faculté de choisir son culte, faculté que nous regardons comme l'un de nos droits les plus précieux, aurait paru aux anciens un crime et un sacrilège. Dans les choses qui nous semblent les plus utiles, l'autorité du corps social s'interpose et gêne la volonté des individus; Terpandre ne peut chez les Spartiates ajouter une corde à sa lyre sans que les éphores ne s'offensent. Dans les relations les plus domestiques, l'autorité intervient encore. Le jeune Lacédémonien ne peut visiter librement sa nouvelle épouse. A Rome, les censeurs portent un œil scrutateur dans l'intérieur des familles. Les lois règlent les mœurs, et comme les mœurs tiennent à tout, il n'y a rien que les lois ne règlent.
Ainsi chez les anciens, l'individu, souverain presque habituellement dans les affaires publiques, est esclave dans tous les rapports privés. Comme citoyen, il décide de la paix et de la guerre; comme particulier, il est circonscrit, observé, réprimé dans tous ses mouvements; comme portion du corps collectif, il interroge, destitue, condamne, dépouille, exile, frappe de mort ses magistrats ou ses supérieurs; comme soumis au corps collectif, il peut à son tour être privé de son état, dépouillé de ses dignités, banni, mis à mort, par la volonté discrétionnaire de l'ensemble dont il fait partie. Chez les modernes, au contraire, l'individu, indépendant dans sa vie privée, n'est même dans les états les plus libres, souverain qu'en apparence. Sa souveraineté est restreinte, presque toujours suspendue; et si, à des époques fixes, mais rares, durant les quelles il est encore entouré de précautions et d'entraves, il exerce cette souveraineté, ce n'est jamais que pour l'abdiquer.
Je dois ici, Messieurs, m'arrêter un instant pour prévenir une objection que l'on pourrait me faire. Il y a dans l'antiquité une république où l'asservissement de l'existence individuelle au corps collectif n'est pas aussi complet que je viens de le décrire. Cette république est la plus célèbre de toutes; vous devinez que je veux parler d'Athènes. J'y reviendrai plus tard, et en convenant de la vérité du fait, je vous en exposerai la cause. Nous verrons pourquoi de tous les états anciens, Athènes est celui qui a ressemblé le plus aux modernes.
Partout ailleurs, la juridiction sociale était illimitée. Les anciens, comme le dit Condorcet, n'avaient aucune notion des droits individuels. Les hommes n'étaient, pour ainsi dire, que des machines dont la loi réglait les ressorts et dirigeait les rouages. Le même assujettissement caractérisait les beaux siècles de la république romaine; l'individu s'était en quelque sorte perdu dans la nation, le citoyen dans la cité.
Nous allons actuellement remonter à la source de cette différence essentielle entre les anciens et nous.
Toutes les républiques anciennes étaient renfermées dans des limites étroites. La plus peuplée, la plus puissante, la plus considérable d'entre elles, n'était pas égale en étendue au plus petit des états modernes. Par une suite inévitable de leur peu d'étendue, l'esprit de ces républiques était belliqueux, chaque peuple froissait continuellement ses voisins ou était froissé par eux. Poussés ainsi par la nécessité, les uns contre les autres, ils se combattaient ou se menaçaient sans cesse. Ceux qui ne voulaient pas être conquérants ne pouvaient déposer les armes sous peine d'être conquis. Tous achetaient leur sûreté, leur indépendance, leur existence entière, au prix de la guerre.
Elle était l'intérêt constant, l'occupation presque habituelle des états libres de l'antiquité. Enfin, et par un résultat également nécessaire de cette manière d'être, tous ces états avaient des esclaves. Les professions mécaniques, et même, chez quelques nations, les professions industrielles, étaient confiées à des mains chargées de fers.
Le monde moderne nous offre un spectacle complètement opposé. Les moindres états de nos jours sont incomparablement plus vastes que Sparte ou que Rome durant cinq siècles. La division même de l'Europe en plusieurs états, est, grâce aux progrès des lumières, plutôt apparente que réelle. Tandis que chaque peuple, autrefois, formait une famine isolée, ennemie née des autres familles, une masse d'hommes existe maintenant sous différents noms, et sous divers modes d'organisation sociale, mais homogène de sa nature. Elle est assez forte pour n'avoir rien à craindre des hordes barbares. Elle est assez éclairée pour que la guerre lui soit à charge. Sa tendance uniforme est vers la paix.
Cette différence en amène une autre. La guerre est antérieure au commerce; car la guerre et le commerce ne sont que deux moyens différents d'atteindre le même but, celui de posséder ce que l'on désire. Le commerce n'est qu'un hommage rendu à la force du possesseur par l'aspirant à la possession. C'est une tentative pour obtenir de gré à gré ce qu'on n'espère plus conquérir par la violence. Un homme qui serait toujours le plus fort n'aurait jamais l'idée du commerce. C'est l'expérience qui, en lui prouvant que la guerre, c'est-a-dire, l'emploi de sa force contre la force d'autrui, l'expose à diverses résistances et à divers échecs, le porte à recourir au commerce, c'est-à-dire, à un moyen plus doux et plus sûr d'engager l'intérêt d'un autre à consentir à ce qui convient à son intérêt. La guerre est l'impulsion, le commerce est le calcul. Mais par la même il doit venir une époque où le commerce remplace la guerre. Nous sommes arrivés a cette époque.
Je ne veux point dire qu'il n'y ait pas eu chez les anciens des peuples commerçants. Mais ces peuples faisaient en quelque sorte exception à la règle générale. Les bornes d'une lecture ne me permettent pas de vous indiquer tous les obstacles qui s'opposaient alors aux progrès du commerce; vous les connaissez d'ailleurs aussi bien que moi: je n'en rapporterai qu'un seul. L'ignorance de la boussole forçait les marins de l'antiquité à ne perdre les côtes de vue que le moins qu'il leur était possible. Traverser les Colonnes d'Hercule, c'est-à-dire, passer le détroit de Gibraltar, était considéré comme l'entreprise la plus hardie. Les Phéniciens et les Carthaginois, les plus habiles des navigateurs, ne l'osèrent que fort tard, et leur exemple resta longtemps sans être imité. A Athènes, dont nous parlerons bientôt, l'intérêt maritime était d'environ 60 pour %, pendant que l'intérêt ordinaire n'était que de douze, tant l'idée d'une navigation lointaine impliquait celle du danger.
De plus, si je pouvais me livrer à une digression qui malheureusement serait trop longue, je vous montrerais, Messieurs, par le détail des moeurs, des habitudes, du mode de trafiquer des peuples commerçants de l'antiquité avec les autres peuples, que leur commerce même était, pour ainsi dire, imprégné de l'esprit de l'époque, de l'atmosphère, de guerre et d'hostilité qui les entourait. Le commerce alors était un accident heureux, c'est aujourd'hui l'état ordinaire, le but unique, la tendance universelle, la vie véritable des nations. Elles veulent le repos, avec le repos l'aisance, et comme source de l'aisance, l'industrie. La guerre est chaque jour un moyen plus inefficace de remplir leurs vœux. Ses chances n'offrent plus ni aux individus, ni aux nations des bénéfices qui égalent les résultats du travail paisible et des échanges réguliers. Chez les anciens, une guerre heureuse ajoutait en esclaves, en tributs, en terres partagées, à la richesse publique et particulière. Chez les modernes, une guerre heureuse coûte infailliblement plus qu'elle ne vaut.
Enfin, grâce au commerce, à la religion, aux progrès intellectuels et moraux de l'espèce humaine il n'y a plus d'esclaves chez les nations européennes. Des hommes libres doivent exercer toutes les professions, pourvoir à tous les besoins de la société.
On pressent aisément, Messieurs, le résultat nécessaire de ces différences.
1° L'étendue d'un pays diminue d'autant l'importance politique qui échoit en partage à chaque individu. Le républicain le plus obscur de Rome ou de Sparte était une puissance. Il n'en est pas de même du simple citoyen de la Grande-Bretagne ou des États-Unis. Son influence personnelle est un élément imperceptible de la volonté sociale qui imprime au gouvernement sa direction.
En second lieu, l'abolition de l'esclavage a enlevé à la population libre tout le loisir qui résultait pour elle de ce que des esclaves étaient chargés de la plupart des travaux. Sans la population esclave d'Athènes, 20.000 Athéniens n'auraient pas pu délibérer chaque jour sur la place publique.
Troisièmement, le commerce ne laisse pas, comme la guerre, dans la vie de l'homme des intervalles d'inactivité. L'exercice perpétuel des droits politiques, la discussion journalière des affaires de l'État, les dissensions, les conciliabules, tout le cortège et tout le mouvement des factions, agitations nécessaires, remplissage obligé, si j'ose employer ce terme, dans la vie des peuples libres de l'antiquité, qui auraient langui, sans cette ressource, sous le poids d'une inaction douloureuse, n'offriraient que trouble et que fatigue aux nations modernes, où chaque individu occupé de ses spéculations, de ses entreprises, des jouissances qu'il obtient ou qu'il espère, ne veut en être détourné que momentanément et le moins qu'il est possible.
Enfin, le commerce inspire aux hommes un vif amour pour l'indépendance individuelle. Le commerce subvient à leurs besoins, satisfait à leurs désirs, sans l'intervention de l'autorité. Cette intervention est presque toujours, et je ne sais pourquoi je dis presque, cette intervention est toujours un dérangement et une gêne. Toutes les fois que le pouvoir collectif veut se mêler des spéculations particulières, il vexe les spéculateurs. Toutes les fois que les gouvernements prétendent faire nos affaires, ils les font plus mal et plus dispendieusement que nous.
Je vous ai dit, Messieurs, que je vous reparlerais d'Athènes, dont on pourrait opposer l'exemple à quelques-unes de mes assertions, et dont l'exemple, au contraire, va les confirmer toutes.
Athènes, comme, je l'ai déjà reconnu, était, de toutes les républiques grecques, la plus commerçante: aussi accordait-elle à ses citoyens infiniment plus de liberté individuelle que Rome et que Sparte. Si je pouvais entrer dans des détails historiques, je vous ferais voir que le commerce avait fait disparaître de chez les Athéniens plusieurs des différences qui distinguent les peuples anciens des peuples modernes. L'esprit des commerçants d'Athènes était pareil a celui des commerçants de nos jours. Xénophon nous apprend que, durant la guerre du Péloponnèse, ils sortaient leurs capitaux du continent de l'Attique et les envoyaient dans les îles de l'Archipel. Le commerce avait créé chez eux la circulation. Nous remarquons dans Isocrate des traces de l'usage des lettres-de-change. Aussi, observez, combien leurs moeurs ressemblent aux nôtres. Dans leurs relations avec les femmes, vous verrez, je cite encore Xénophon, les époux satisfaits quand la paix et une amitié décente règnent dans l'intérieur du ménage, tenir compte à l'épouse trop fragile de la tyrannie de la nature, fermer les yeux sur l'irrésistible pouvoir des passions, pardonner la première faiblesse et oublier la seconde. Dans leurs rapports avec les étrangers l'on les verra prodiguer les droits de cité à quiconque, se transportant chez eux avec sa famille, établit un métier ou une fabrique; enfin on sera frappé de leur amour excessif pour l'indépendance individuelle.
A Lacédémone, dit un philosophe, les citoyens accourent lorsque le magistrat les appelle; mais un Athénien serait au désespoir qu'on le crût dépendant d'un magistrat.
Cependant, comme plusieurs des autres circonstances qui décidaient du caractère des nations anciennes existaient aussi a Athènes; comme il y avait une population esclave, et que le territoire était fort reserré, nous y trouvons des vestiges de la, liberté propre aux anciens. Le peuple fait les lois, examine la conduite des magistrats, somme Périclès de rendre ses comptes, condamne à mort les généraux qui avaient commandé au combat des Arginuses. En même temps, l'ostracisme, arbitraire légal et vanté par tous les législateurs de l'époque; l'ostracisme, qui nous paraît et doit nous paraître une révoltante iniquité, prouve que l'individu était encore bien plus asservi à la suprématie du corps social à Athènes, qu'il ne l'est de nos jours dans aucun état libre de l'Europe.
Il résulte de ce que je viens d'exposer, que nous ne pouvons plus jouir de la liberté des anciens, qui se composait de la participation active et constante au pouvoir collectif. Notre liberté à nous, doit se composer de la jouissance paisible de l'indépendance privée. La part que dans l'antiquité chacun prenait à la souveraineté nationale n'était point, comme de nos jours, une supposition abstraite. La volonté de chacun avait une influence réelle: l'exercice de cette volonté était un plaisir vif et répété. En conséquence, les anciens étaient disposés à faire beaucoup de sacrifices pour la conservation de leurs droits politiques et de leur part dans l'administration de l'État. Chacun sentant avec orgueil tout ce que valait son suffrage, trouvait dans cette conscience de son importance personnelle, un ample dédommagement.
Ce dédommagement n'existe plus aujourd'hui pour nous. Perdu dans la multitude, l'individu n'aperçoit presque jamais l'influence qu'il exerce. Jamais sa volonté ne s'empreint sur l'ensemble, rien ne constate à ses propres yeux sa coopération. L'exercice des droits politiques ne nous offre donc plus qu'une partie des jouissances que les anciens y trouvaient, et en même temps les progrès de la civilisation, la tendance commerciale de l'époque, la communication des peuples entre eux, ont multiplié et varié à l'infini les moyens de bonheur particulier.
Il s'ensuit que nous devons être bien plus attachés que les anciens à notre indépendance individuelle; car les anciens, lorsqu'ils sacrifiaient cette indépendance aux droits politiques, sacrifiaient moins pour obtenir plus; tandis qu'en faisant le même sacrifice, nous donnerions plus pour obtenir moins.
Le but des anciens était le partage du pouvoir social entre tous les citoyens d'une même patrie: c'était là ce qu'ils nommaient liberté. Le but des modernes est la sécurité dans les jouissances privées; et ils nomment liberté les garanties accordées par les institutions à ces jouissances.
J'ai dit en commençant que, faute d'avoir aperçu ces différences, des hommes bien intentionnés d'ailleurs, avaient causé des maux infinis durant notre longue et orageuse révolution. A Dieu ne plaise que je leur adresse des reproches trop sévères: leur erreur même était excusable. On ne saurait lire les belles pages de l'antiquité, l'on ne se retrace point les actions de ses grands hommes sans ressentir je ne sais quelle émotion d'un genre particulier que ne fait éprouver rien de ce qui est moderne. Les vieux éléments d'une nature antérieure, pour ainsi dire, à la nôtre, semblent se réveiller en nous à ces souvenirs. II est difficile de ne pas regretter ces temps où les facultés de l'homme se développaient dans une direction tracée d'avance, mais dans une carrière si vaste, tellement fortes de leurs propres forces, et avec un tel sentiment d'énergie et de dignité; et lorsqu'on se livre à ces regrets, il est impossible de ne pas vouloir imiter ce qu'on regrette. Cette impression était profonde, surtout lorsque nous vivions sous des gouvernements abusifs, qui, sans être forts, étaient vexatoires, absurdes en principes, misérables en action; gouvernements qui avaient pour ressort l'arbitraire, pour but le rapetissement de l'espèce humaine, et que certains hommes osent nous vanter encore aujourd'hui, comme si nous pouvions oublier jamais que nous avons été témoins et victimes de leur obstination, de leur impuissance et de leur renversement. Le but de nos réformateurs fut noble et généreux. Qui d'entre nous n'a pas senti son coeur battre d'espérance à l'entrée de la route qu'ils semblaient ouvrir?  Et malheur encore à présent à qui n'éprouve pas le besoin de déclarer que reconnaître quelques erreurs commises par nos premiers guides, ce n'est pas flétrir leur mémoire ni désavouer des opinions que les amis de l'humanité ont professées d'âge en âge.
Mais ces hommes avaient puisé plusieurs de leurs théories dans les ouvrages de deux philosophes qui ne s'étaient pas douté eux-mêmes des modifications apportées par deux mille ans aux dispositions du genre humain. J'examinerai peut-être une fois le système du plus illustre de ces philosophes, de Jean-Jacques Rousseau, et je montrerai qu'en transportant dans nos temps modernes une étendue de pouvoir social, de souveraineté collective qui appartenait à d'autres siècles, ce génie sublime qu'animait l'amour le plus pur de la liberté, a fourni néanmoins de funestes prétextes à plus d'un genre de tyrannie. Sans doute, en relevant ce que je considère comme une méprise importante à dévoiler, je serai circonspect dans ma réfutation, et respectueux dans mon blâme. J'éviterai, certes, de me joindre aux détracteurs d'un grand homme. Quand le hasard fait qu'en apparence je me rencontre avec eux sur un seul point, je suis en défiance de moi-même; et, pour me consoler de paraître un instant de leur avis sur une question unique et partielle, j'ai besoin de désavouer et de flétrir autant qu'il est en moi ces prétendus auxiliaires.
Cependant, l'intérêt de la vérité doit l'emporter sur des considérations que rendent si puissantes l'éclat d'un talent prodigieux et l'autorité d'une immense renommée. Ce n'est d'ailleurs point à Rousseau, comme on le verra, que l'on doit principalement attribuer l'erreur que je vais combattre: elle appartient bien plus à l'un de ses successeurs, moins éloquent, mais non moins austère et mille fois plus exagéré. Ce dernier, l'abbé de Mably, peut être regardé comme le représentant du système qui, conformément aux maximes de la liberté antique, veut que les citoyens soient complètement assujettis pour que la nation soit souveraine, et que l'individu soit esclave pour que le peuple soit libre.
L'abbé de Mably, comme Rousseau et comme beaucoup d'autres, avait, d'après les anciens, pris l'autorité du corps social pour la liberté, et tous les moyens lui paraissaient bons pour étendre l'action de cette autorité sur cette partie récalcitrante de l'existence humaine, dont il déplorait l'indépendance. Le regret qu'il exprime partout dans ses ouvrages, c'est que la loi ne puisse atteindre que les actions. Il aurait voulu qu'elle atteignît les pensées, les impressions les plus passagères; qu'elle poursuivît l'homme sans relâche et sans lui laisser un asile où il pût échapper à son pouvoir. A peine apercevait-il, n'importe chez quel peuple, une mesure vexatoire, qu'il pensait avoir fait une découverte et qu'il la proposait pour modèle: il détestait la liberté individuelle comme on déteste un ennemi personnel; et, dès qu'il rencontrait dans l'histoire une nation qui en était bien complètement privée, n'eût-elle point de liberté politique, il ne pouvait s'empêcher de l'admirer. II s'extasiait sur les Égyptiens, parce que, disait-il, tout chez eux était réglé par la loi, jusqu'aux délassements, jusqu'aux besoins: tout pliait sous l'empire du législateur; tous les moments de la journée étaient remplis par quelque devoir; l'amour même était sujet à cette intervention respectée, et c'était la loi qui tour-à-tour ouvrait et fermait la couche nuptiale.
Sparte, qui réunissait des formes républicaines au même asservissement des individus, excitait dans l'esprit de ce philosophe un enthousiasme plus vif encore.
Ce vaste couvent lui paraissait l'idéal d'une parfaite république. Il avait pour Athènes un profond mépris, et il aurait dit volontiers de cette nation, la première de la Grèce, ce qu'un académicien grand seigneur disait de l'Académie française: "Quel épouvantable despotisme! tout le monde y fait ce qu'il veut".  Je dois ajouter que ce grand seigneur parlait de l'Académie telle qu'elle était il y a trente ans.
Montesquieu, doué d'un esprit plus observateur parce qu'il avait une tête moins ardente, n'est pas tombé tout-à-fait dans les mêmes erreurs. Il a été frappé des différences que j'ai rapportées: mais il n'en a pas démêlé la cause véritable. Les politiques grecs qui vivaient sous le gouvernement populaire ne reconnaissaient, dit-il, d'autre force que celle de la vertu. Ceux d'aujourd'hui ne nous parlent que de manufactures, de commerce, de finances, de richesses et de luxe même. Il attribue cette différence à la république et à la monarchie: il faut l'attribuer à l'esprit opposé des temps anciens et des temps modernes. Citoyens des républiques, sujets des monarchies, tous veulent des jouissances, et nul ne peut, dans l'état actuel des sociétés, ne pas en vouloir. Le peuple le plus attaché de nos jours à sa liberté, avant l'affranchissement de la France, était aussi le peuple le plus attaché à toutes les jouissances de la vie; et il tenait à sa liberté surtout parce qu'il y voyait la garantie des jouissances qu'il chérissait. Autrefois, là où il y avait liberté, l'on pouvait supporter les privations: maintenant partout où il y a privations, il faut l'esclavage pour qu'on s'y résigne. Il serait plus possible aujourd'hui de
faire d'un peuple d'esclaves un peuple de Spartiates, que de former des Spartiates par la liberté. Les hommes qui se trouvèrent portés par le flot des événements à la tête de notre révolution, étaient, par une suite nécessaire de l'éducation qu'ils avaient reçue, imbus des opinions antiques, et devenues fausses, qu'avaient mises en honneur les philosophes dont j'ai parlé. La métaphysique de Rousseau, au milieu de laquelle paraissaient tout-à-coup comme des éclairs des vérités sublimes et des passages d'une éloquence entraînante, l'austérité de Mably, son intolérance, sa haine contre toutes les passions humaines, son avidité de les asservir toutes, ses principes exagérés sur la compétence de la loi, la différence de ce qu'il recommandait et de ce qui avait existé, ses déclamations contre les richesses et même contre la propriété; toutes ces choses devaient charmer des hommes échauffés par une victoire récente, et qui, conquérants de la puissance légale, étaient bien aises d'étendre cette puissance sur tous les objets. C'était pour eux une autorité précieuse que celle de deux écrivains qui, désintéressés dans la question et prononçant anathème contre le despotisme des hommes, avaient rédigé en axiome le texte de la loi. Ils voulurent donc exercer la force publique comme ils avaient appris de leurs guides qu'elle avait été jadis exercée dans les états libres. Ils crurent que tout devait encore céder devant la volonté collective et que toutes les restrictions aux droits individuels seraient amplement compensées par la participation au pouvoir social.
Vous savez, Messieurs, ce qui en est résulté.
Des institutions libres, appuyées sur la connaissance de l'esprit du siècle, auraient pu subsister. L'édifice renouvelé des anciens s'est écroulé, malgré beaucoup d'efforts et beaucoup d'actes héroïques qui ont droit a l'admiration. C'est que le pouvoir social blessait en tout sens l'indépendance individuelle sans en détruire le besoin. La nation ne trouvait point qu'une part idéale à une souveraineté abstraite valût les sacrifices qu'on lui commandait. On lui répétait vainement avec Rousseau: les lois de la liberté sont mille fois plus austères que n'est dur le joug des tyrans. Elle ne voulait pas de ces lois austères, et dans sa lassitude, elle croyait quelquefois que le joug des tyrans serait préférable. L'expérience est venue et l'a détrompée. Elle a vu que l'arbitraire des hommes était pire encore que les plus mauvaises lois. Mais les lois aussi doivent avoir leurs limites.
Si je suis parvenu, Messieurs, à vous faire partager la conviction que dans mon opinion ces faits doivent produire, vous reconnaîtrez avec moi la vérité des principes suivants. L'indépendance individuelle est le premier besoin des modernes: en conséquence, il ne faut jamais leur en demander le sacrifice pour établir la liberté politique. Il s'ensuit qu'aucune des institutions nombreuses et trop vantées qui, dans les républiques anciennes, gênaient la liberté individuelle, n'est point admissible dans les temps modernes.
Cette vérité, Messieurs, semble d'abord superflue à établir. Plusieurs gouvernements de nos jours ne paraissent guères enclins à imiter les républiques de l'antiquité. Cependant quelque peu de goût qu'ils aient pour les institutions républicaines, il y a de certains usages républicains pour lesquels ils éprouvent je ne sais quelle affection. Il est fâcheux que ce soit précisément celles qui permettent de bannir, d'exiler, de dépouiller. Je me souviens qu'en en 1802, on glissa dans une loi sur les tribunaux spéciaux un article qui introduisait en France l'ostracisme grec; et Dieu sait combien d'éloquents orateurs, pour faire admettre cet article, qui cependant fut retiré, nous parlèrent de la liberté d'Athènes, et de tous les sacrifices que les individus devaient faire pour conserver cette liberté!  De même, à une époque bien plus récente, lorsque des autorités craintives essayaient d'une main timide de diriger les élections a leur gré, un journal qui n'est pourtant point entaché de républicanisme, proposa de faire revivre la censure romaine pour écarter les candidats dangereux.
Je crois donc ne pas m'engager dans une digression inutile, si, pour appuyer mon assertion, je dis quelques mots de ces deux institutions si vantées. L'ostracisme d'Athènes reposait sur l'hypothèse que la société a toute autorité sur ses membres. Dans cette hypothèse, il pouvait se justifier, et dans un petit état, où l'influence d'un individu fort de son crédit, de sa clientelle, de sa gloire, balançait souvent la puissance de la masse, l'ostracisme pouvait avoir une apparence d'utilité. Mais parmi nous, les individus ont des droits que la société doit respecter, et l'influence individuelle est, comme je l'ai déjà observé, tellement perdue dans une multitude d'influences égales ou supérieures, que toute vexation, motivée sur la nécessité de diminuer cette influence, est inutile et par conséquent injuste. Nul n'a le droit d'exiler un citoyen, s'il n'est pas condamné légalement par un tribunal régulier, d'après une loi formelle qui attache la peine de l'exil à l'action dont il est coupable. Nul n'a le droit d'arracher le citoyen à sa patrie, le propriétaire à ses biens, le négociant à son commerce, l'époux à son épouse, le père à ses enfants, l'écrivain à ses méditations studieuses, le vieillard à ses habitudes. Tout exil politique est un attentat politique. Tout exil prononcé par une assemblée pour de prétendus motifs de salut public, est un crime de cette assemblée contre le salut public qui n'est jamais que dans le respect des lois, dans l'observance des formes, et dans le maintien des garanties.
La censure romaine supposait comme l'ostracisme un pouvoir discrétionnaire. Dans une république dont tous les citoyens, maintenus par la pauvreté dans une simplicité extrême de mœurs, habitaient la même ville, n'exerçaient aucune profession qui détournât leur attention des affaires de l'État, et se trouvaient ainsi constamment spectateurs et juges de l'usage du pouvoir public, la censure pouvait d'une part avoir plus d'influence; et de l'autre, l'arbitraire des censeurs était contenu par une espèce de surveillance morale exercée contre eux. Mais aussitôt que l'étendue de la république, la complication des relations sociales et les raffinements de la civilisation, eurent enlevé à cette institution ce qui lui servait à la fois de base et de limite, la censure dégénéra même à Rome. Ce n'était donc pas la censure qui avait crée les bonnes mœurs; c'était la simplicité des mœurs qui constituait la puissance et l'efficacité de la censure.
En France, une institution aussi arbitraire que la censure serait à la fois inefficace et intolérable: dans l'état présent de la société, les mœurs se composent de nuances fines, ondoyantes, insaisissables, qui se dénatureraient de mille manières, si l'on tentait de leur donner plus de précision. L'opinion seule peut les atteindre; elle seule peut les juger, parce qu'elle est de même nature. Elle se soulèverait contre toute autorité positive qui voudrait lui donner plus de précision. Si le gouvernement d'un peuple moderne voulait, comme les censeurs de Rome, flétrir un citoyen par une décision discrétionnaire, la nation entière réclamerait contre cet arrêt en ne ratifiant pas les décisions de l'autorité.
Ce que je viens de dire de la transplantation de la censure dans les temps modernes, s'applique à bien d'autres parties de l'organisation sociale, sur lesquelles on nous cite l'antiquité plus fréquemment encore, et avec bien plus d'emphase. Telle est l'éducation, par exemple; que ne nous dit-on pas sur la nécessité de permettre que le gouvernement s'empare des générations naissantes pour les façonner à son gré, et de quelles citations érudites n'appuie-t-on pas cette théorie! Les Perses, les Égyptiens, et la Gaule, et la Grèce, et l'Italie, viennent tour à tour figurer à nos regards. Eh! Messieurs, nous ne sommes ni des Perses, soumis à un despote, ni des Égyptiens subjugués par des prêtres, ni des Gaulois pouvant être sacrifiés par leurs druides, ni enfin des Grecs et des Romains que leur part à l'autorité sociale consolait de l'asservissement privé. Nous sommes des modernes, qui voulons jouir chacun de nos droits, développer chacun nos facultés comme bon nous semble, sans nuire à autrui; veiller sur le développement de ces facultés dans les enfants que le nature confie à nôtre affection, d'autant plus éclairée qu'elle est plus vive, et n'ayant besoin de l'autorité que pour tenir d'elle les moyens généraux d'instruction qu'elle peut rassembler, comme les voyageurs acceptent d'elle les grands chemins sans être dirigés par elle dans la route qu'ils veulent suivre. La religion aussi est exposée à ces souvenirs des autres siècles. De braves défenseurs de l'unité de doctrine nous citent les lois des anciens contre les dieux étrangers, et appuient les droits de l'église catholique de l'exemple des Athéniens qui firent périr Socrate pour avoir ébranlé le polythéisme, et de celui d'Auguste qui voulait qu'on restât fidèle au culte de ses pères, ce qui fit que, peu de temps après, on livra aux bêtes les premiers chrétiens.
Défions-nous donc, Messieurs, de cette admiration pour certaines réminiscences antiques. Puisque nous vivons dans les temps modernes je veux la liberté convenable aux temps modernes; et puisque nous vivons sous des monarchies, je supplie humblement ces monarchies de ne pas emprunter aux républiques anciennes des moyens de nous opprimer.
La liberté individuelle, je le répète, voilà la véritable liberté moderne. La liberté politique en est la garantie; la liberté politique est par conséquent indispensable. Mais demander aux peuples de nos jours de sacrifier comme ceux d'autrefois la totalité de leur liberté individuelle à la liberté politique, c'est le plus sûr moyen de les détacher de l'une et quand on y serait parvenu, on ne tarderait pas à leur ravir l'autre. Vous voyez, Messieurs, que mes observations ne tendent nullement à diminuer le prix de la liberté politique. Je ne tire point des faits que j'ai remis sous vos yeux les conséquences que quelques hommes en tirent. De ce que les anciens ont été libres, et de ce que nous ne pouvons plus être libres comme les anciens, ils en concluent que nous sommes destinés à être esclaves. Ils voudraient constituer le nouvel état social avec un petit nombre d'éléments qu'ils disent seuls appropriés à la situation du monde actuel. Ces éléments sont des préjugés pour effrayer les hommes, de l'égoïsme pour les corrompre, de la frivolité pour les étourdir, des plaisirs grossiers pour les dégrader, du despotisme pour les conduire; et, il le faut bien, des connaissances positives et des sciences exactes pour servir plus adroitement le despotisme. Il serait bizarre que tel fût le résultat de quarante siècles durant lesquels l'espèce humaine a conquis plus de moyens moraux et physiques: je ne puis le penser. Je tire des différences qui nous distinguent de l'antiquité des conséquences tout opposées. Ce n'est point la garantie qu'il faut affaiblir, c'est la jouissance qu'il faut étendre. Ce n'est point a la liberté politique que je veux renoncer; c'est la liberté civile que je réclame, avec d'autres formes de liberté politique. Les gouvernements n'ont pas plus qu'autrefois le droit de s'arroger un pouvoir illégitime. Mais les gouvernements qui partent d'une source légitime ont de moins qu'autrefois le droit d'exercer sur les individus une suprématie arbitraire. Nous possédons encore aujourd'hui les droits que nous eûmes de tout temps, ces droits éternels à consentir les lois, a délibérer sur nos intérêts, à être partie intégrante du corps social dont nous sommes membres. Mais les gouvernements ont de nouveaux devoirs; les progrès de la civilisation, les changements opérés par les siècles, commandent à l'autorité plus de respect pour les habitudes, pour les affections, pour l'indépendance des individus. Elle doit porter sur tous ces objets une main plus prudente et plus légère.
Cette réserve de l'autorité, qui est dans ses devoirs stricts, est également dans ses intérêts bien entendus; car si la liberté qui convient aux modernes est différente de celle qui convenait aux anciens, le despotisme qui était possible chez les anciens n'est plus possible chez les modernes. De ce que nous sommes souvent plus distraits de la liberté politique qu'ils ne pouvaient l'être, et dans notre état ordinaire moins passionnés pour elle, il peut s'ensuivre que nous négligions quelquefois trop, et toujours à tort, les garanties qu'elle nous assure; mais en même temps, comme nous tenons beaucoup plus à la liberté individuelle que les anciens, nous la défendrons, si elle est attaquée, avec beaucoup plus d'adresse et de persistance; et nous avons pour la défendre des moyens que les anciens n'avaient pas.
Le commerce rend l'action de l'arbitraire sur notre existence plus vexatoire qu'autrefois, parce que nos spéculations étant plus variées, l'arbitraire doit se multiplier pour les atteindre; mais le commerce rend aussi l'action de l'arbitraire plus facile a éluder, parce qu'il change la nature de la propriété, qui devient par ce changement presque insaisissable.
Le commerce donne à la propriété une qualité nouvelle, la circulation: sans circulation, la propriété n'est qu'un usufruit; l'autorité peut toujours influer sur l'usufruit, car elle peut enlever la jouissance; mais la circulation met un obstacle invisible et invincible à cette action du pouvoir social.
Les effets du commerce s'étendent encore plus loin: non seulement il affranchit les individus, mais, en créant le crédit, il rend l'autorité dépendante.
L'argent, dit un auteur français, est l'arme la plus dangereuse du despotisme, mais il est en même temps son frein le plus puissant; le crédit est soumis à l'opinion; la force est inutile; l'argent se cache ou s'enfuit; toutes les opérations de l'État sont suspendues. Le crédit n'avait pas la même influence chez les anciens; leurs gouvernements étaient plus forts que les particuliers; les particuliers sont plus forts que les pouvoirs politiques de nos jours; la richesse est une puissance plus disponible dans tous les instants, plus applicable a tous les intérêts, et par conséquent bien plus réelle et mieux obéie; le pouvoir menace, la richesse récompense: on échappe au pouvoir en le trompant; pour obtenir les faveurs de la richesse, il faut la servir: celle-ci doit l'emporter.
Par une suite des mêmes causes, l'existence individuelle est moins englobée dans l'existence politique. Les individus transplantent au loin leurs trésors; ils portent avec eux toutes les jouissances de la vie privée; le commerce a rapproché les nations, et leur a donné des mœurs et des habitudes à peu près pareilles: les chefs peuvent être ennemis; les peuples sont compatriotes.
Que le pouvoir s'y résigne donc; il nous faut de la liberté, et nous l'aurons; mais comme la liberté qu'il nous faut est différente de celle des anciens, il faut à cette liberté une autre organisation que celle qui pourrait convenir a la liberté antique; dans celle-ci, plus l'homme consacrait de temps et de force a l'exercice de ses droits politiques, plus il se croyait libre; dans l'espèce de liberté dont nous sommes susceptibles, plus l'exercice de nos droits politiques nous laissera de temps pour nos intérêts privés, plus la liberté nous sera précieuse.
De la vient, Messieurs, la nécessité du système représentatif. Le système représentatif n'est autre chose qu'une organisation à l'aide de laquelle une nation se décharge sur quelques individus de ce qu'elle ne peut ou ne veut pas faire elle-même. Les individus pauvres font eux-mêmes leurs affaires: les hommes riches prennent des intendants. C'est l'histoire des nations anciennes et des nations modernes. Le système représentatif est une procuration donnée à un certain nombre d'hommes par la masse du peuple, qui veut que ses intérêts soient défendus, et qui néanmoins n'a pas le temps de les défendre toujours lui-même. Mais a moins d'être insensés, les hommes riches qui ont des intendants examinent avec attention et sévérité si ces intendants font leur devoir, s'ils ne sont ni négligents ni corruptibles, ni incapables; et pour juger de la gestion de ces mandataires, les commettants qui ont de la prudence se mettent bien au fait des affaires dont ils leur confient l'administration. De même, les peuples qui, dans le but de jouir de la liberté qui leur convient, recourent au système représentatif, doivent exercer une surveillance active et constante sur leur représentants, et se réserver, à des époques qui ne soient pas séparées par de trop longs intervalles, le droit de les écarter s'ils ont trompé leurs voeux, et de révoquer les pouvoirs dont ils auraient abusé.
Car, de ce que la liberté moderne diffère de la liberté antique, il s'ensuit qu'elle est aussi menacée d'un danger d'espèce différente.
Le danger de la liberté antique était qu'attentifs uniquement à s'assurer le partage du pouvoir social, les hommes ne fissent trop bon marché des droits et des jouissances individuelles.
Le danger de la liberté moderne, c'est qu'absorbés dans la jouissance de notre indépendance privée, et dans la poursuite de nos intérêts particuliers, nous ne renoncions trop facilement à notre droit de partage dans le pouvoir politique.
Les dépositaires de l'autorité ne manquent pas de nous y exhorter. Ils sont si disposés à nous épargner toute espèce de peine, excepté celle d'obéir et de payer! Ils nous diront: Quel est au fond le but de vos efforts, le motif de vos travaux, l'objet de toutes vos espérances? N'est-ce-pas le bonheur? Eh bien, ce bonheur, laissez-nous faire, et nous vous le donnerons. Non, Messieurs, ne laissons pas faire; quelque touchant que ce soit un intérêt si tendre, prions l'autorité de rester dans ses limites; qu'elle se borne à être juste. Nous nous chargerons d'être heureux.
Pourrions-nous l'être par des jouissances, si ces jouissances étaient séparées des garanties? Et où trouverions-nous ces garanties, si nous renoncions à la liberté politique? Y renoncer, Messieurs, serait une démence semblable à celle d'un homme qui, sous prétexte qu'il n'habite qu'un premier étage, prétendrait bâtir sur le sable un édifice sans fondements.
D'ailleurs, Messieurs, est-il donc si vrai que le bonheur, de quelque genre qu'il puisse être, soit le but unique de l'espèce humaine? En ce cas, notre carrière serait bien étroite et notre destination bien peu relevée. Il n' est pas un de nous qui, s'il voulait descendre, restreindre ses facultés morales, rabaisser ses désirs, abjurer l'activité, la gloire, les émotions généreuses et profondes, ne pût s'abrutir et être heureux, Non, Messieurs, j'en atteste cette partie meilleure de notre nature, cette noble inquiétude qui nous poursuit et qui nous tourmente, cette ardeur d'étendre nos lumières et de développer nos facultés; ce n'est pas au bonheur seul, c'est au perfectionnement que notre destin nous appelle; et la liberté politique est le plus puissant, le plus énergique moyen de perfectionnement que le ciel nous ait donné.
La liberté politique soumettant à tous les citoyens, sans exception, l'examen et l'étude de leurs intérêts les plus sacrés, agrandit leur esprit, anoblit leurs pensées, établit, entre eux tous une sorte d'égalité intellectuelle qui fait la gloire et la puissance d'un peuple.
Aussi, voyez comme une nation grandit à la première institution qui lui rend l'exercice régulier de la liberté politique. Voyez nos concitoyens de toutes les classes, de toutes les professions, sortant de la sphère de leurs travaux habituels et des leur industrie privée, se trouver soudain au niveau des fonctions importantes que la constitution leur confie, choisir avec discernement, résister avec énergie, déconcerter la ruse, braver la menace, résister noblement à la séduction. Voyez le patriotisme pur, profond et sincère, triomphant dans nos villes et vivifiant jusqu'à nos hameaux, traversant nos ateliers, ranimant nos campagnes, pénétrant du sentiment de nos droits et de la nécessité des garanties l'esprit juste et droit du cultivateur utile et du négociant industrieux, qui, savants dans l'histoire des maux qu'ils ont subis, et non moins éclairés sur les remèdes qu'exigent ces maux, embrassent d'un regard la France entière, et, dispensateurs de la reconnaissance nationale, récompensent par leurs suffrages, après trente années, la fidélité aux principes dans la personne du plus illustre des défenseurs de la liberté. [Monsieur de Lafayette, nommé député par la Sarthe].
Loin donc, Messieurs, de renoncer à aucune des deux espèces de liberté dont je vous ai parlé, il faut, je l'ai démontré, apprendre à les combiner l'une avec l'autre. Les institutions, comme le dit le célèbre auteur de l'Histoire des républiques du moyen âge [Sismonde de Sismondi], doivent accomplir les destinées de l'espèce humaine; elles atteignent d'autant mieux leur but qu'elles élèvent le plus grand nombre possible de citoyens à la plus haute dignité morale.
L'œuvre du législateur n'est point complète quand il a seulement rendu le peuple tranquille. Lors même que ce peuple est content, il reste encore beaucoup à faire. Il faut que les institutions achèvent l'éducation morale des citoyens. En respectant leurs droits individuels, en ménageant leur indépendance, en ne troublant point leurs occupations, elles doivent pourtant consacrer leur influence sur la chose publique, les appeler à concourir, par leurs déterminations et par leurs suffrages, à l'exercice du pouvoir, leur garantir un droit de contrôle et de surveillance par la manifestation de leurs opinions, et les formant de la sorte par la pratique à ces fonctions élevées, leur donner à la fois et le désir et la faculté de s'en acquitter.

Pour citer ce document

Benjamin Constant, «De la liberté des anciens comparée à celle des modernes(1819)», Les cahiers psychologie politique [En ligne], numéro 13, Juillet 2008. URL : http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=164

dimanche 1 septembre 2013

Les Rencontres de l'Ecologie 2014 : la Biodiversité au Coeur....



Inestimable biodiversité : les Rencontres de l'Ecologie 2014
- Les habitants de la planète
Seules 1,4 million d’espèces sont répertoriées sur la planète alors que l’estimation du nombre total des espèces varie entre 5 et 30 millions ! Nous connaissons 900 000 espèces d’insectes (90 % des insectes sont encore à découvrir), 90 000 espèces de crustacés et arthropodes, 250 000 espèces de plantes à fleur, 4 000 espèces de bactéries, 22 000 espèces de vers annelés et ronds, et seulement 50 000 espèces de vertébrés. Cela donne une image de la biodiversité bien différente de ce que l’on imagine : les espèces les plus visibles ne sont pas les plus nombreuses ! Par exemple, un millilitre d’eau de mer contient environ 1 million de bactéries, et un hectare de terre non polluée dans une région tempérée abrite de 250 000 à 5 millions de vers de terre !
- Répartition de la biodiversité
La biodiversité des espèces diminue régulièrement en fonction de la latitude, depuis l’équateur jusqu’aux pôles. Ainsi, alors que 5 000 espèces de poissons sont présentes dans le bassin de l’Amazone, il n’y en a que 50 dans le bassin du Rhône. Finalement, 80 % de la biodiversité de la planète se trouve sous les tropiques. La forêt tropicale constitue le milieu le plus riche : malgré une très petite superficie (7 % du globe), elle abrite la moitié des espèces vivantes. Pour éviter une perte trop rapide de la biodiversité de la Terre, les scientifiques ont défini 25 « hot spots » (points chauds), des zones prioritaires de conservation à l’échelle du globe. Ces dernières, qui abritent une biodiversité exceptionnelle, sont aussi celles où les espèces sont le plus menacées de disparition. Elles rassemblent à elles seules 44 % des plantes et 35 % des espèces de mammifères, oiseaux, reptiles et amphibiens de la planète.
- Une 6e extinction massive ?
Entre 1900 et 2000, l’humanité est passée de 1,8 à 6 milliards d’individus ! Cette explosion de la démographie humaine liée à la révolution industrielle a de nombreuses conséquences car la pression sur les milieux est énorme. L’utilisation massive d’eau, d’engrais, de pesticides destinés à une agriculture industrielle et à un élevage intensif d’animaux entraîne la disparition des sols arables et une diminution du niveau des nappes phréatiques. L’essor de l’industrie (et de l’automobile en particulier) qui utilise une énorme quantité d’énergies fossiles provoque un réchauffement climatique global.
Résultat : des disparitions massives d’espèces à la surface de la Terre. Ainsi, 260 espèces se sont éteintes au xxe siècle chez les seuls vertébrés, alors que – étant donné la durée de vie moyenne d’une espèce (5 millions d’années)– une seule espèce aurait dû disparaître au cours de cette période…

- Une écologie de la réconciliation
La mise en place de réserves naturelles sur 10 % des terres émergées ne peut suffire à préserver la totalité de la biodiversité terrestre. C’est pourquoi Michael L. Rosenzweig, professeur d’écologie à l’université d’Arizona, propose une « écologie de la réconciliation » pour harmoniser les rapports des hommes avec les écosystèmes qui les abritent : les aménagements (villes, routes, etc.) devant être prévus dès leur conception pour permettre le maintien et même l’épanouissement de la biodiversité.
- Une évaluation monétaire du vivant ?
En 1997, une étude paraît dans la revue Nature, faisant la synthèse de centaines de tentatives d’évaluation de biens et services rendus par les écosystèmes du globe. Ces études conduites à travers 16 biomes (forêt tropicale, savane…) évaluent monétairement les services rendus par les espèces vivantes : régulation des gaz, régulation du climat, pollinisation, production alimentaire… et l’extrapolent à l’ensemble de la planète. Le montant de ces services est estimé à 33 trillions de dollars ! Or la somme des produits nationaux bruts de la planète ne s’élève qu’à 18 trillions de dollars. Il s’agit évidemment d’une évaluation très imprécise, mais elle nous permet de mieux comprendre l’importance du rôle des écosystèmes dans notre économie, et de tous les services qu’ils nous rendent gratuitement.
- « L’histoire de la biosphère a connu cinq extinctions majeures, et nous sommes au coeur de la sixième. Aujourd’hui, le nombre d’espèces présentes sur Terre est mal connu, et évalué entre 3 et 30 millions. On estime que cette sixième extinction est de 1 000 à 10 000 fois plus rapide que les extinctions qui l’ont précédée. Quelques exemples de l’extinction en cours ? Tout d’abord, la disparition de la forêt tropicale, un milieu de très grande biodiversité et dont beaucoup d’espèces animales ou végétales sont très mal connues. Autre exemple, les pratiques de l’agriculture industrielle ont eu un énorme impact sur les agro-écosystèmes de la Beauce, où le sol n’est plus qu’un désert. Ou les fonds marins dévastés par l’exploitation off-shore du pétrole, sans oublier l’estuaire des fleuves, qui subissent l’impact de nos activités. »
La biodiversité : définition, histoire et protection

“Biodiversité” est un terme aujourd’hui très médiatisé et populaire, qui apparaît explicitement dans les programmes 2008 du CE2 au CM2. Sa définition semble aller de soi puisque le mot est une contraction de “diversité biologique”, deux mots compréhensibles par tout le monde. Sa préservation semble consensuelle. Cependant les raisons de sa préservation sont rarement expliquées. Il existe pourtant des contradictions entre les raisons écologiques du scientifique et du naturaliste, les raisons psychologiques de l’opinion et les raisons utilitaires de l’agriculture et de la sylviculture. La compréhension, par les citoyens et les décideurs de la planète, du problème actuel de la biodiversité nécessite celle de l’évolution et du fonctionnement
Biodiversité fragile et indispensable…et belle  
1. Qu'est-ce que la biodiversité ?
La biodiversité (Wilson 1988), c'est la "diversité du vivant" ou encore la "diversité biologique" (biological diversity, Lovejoy 1980). Le premier vocable a eu plus de succès, mais c'est la même chose.
La Convention sur la biodiversité (2005) en a donné une définition officielle : "Diversité biologique : Variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes."
1.1. Le constat de la biodiversité :
Le constat de la diversité du vivant est ancien. Les premiers classificateurs (Aristote et Pline par exemple) avaient une certaine conscience de cette diversité ; mais ils l'avaient sous-estimée.
Tout au cours de l'histoire des sciences, le nombre des espèces inventoriées est allé croissant. Ainsi “à la fin du XVIIe siècle, un naturaliste comme John Ray estimait le nombre d’espèces dinsectes existant au monde à 10 ou 20 000” (Michel Chauvet et Louis Olivier, 1993). Aujourd’hui, les entomologistes en ont dénombré 1 million. Ce dénombrement est assujetti à la définition de l'espèce (Linné vers 1735). Plus l'inventaire du vivant progresse (XVIIIe), "plus notre embarras s'accroît pour déterminer ce qui doit être regardé comme espèce" (Lamarck, Philosophie zoologique, 1809). Ainsi les classificateurs se sont demandés, par exemple, si, en Afrique, l'éléphant des savanes et celui des forêts constituaient deux sous-espèces de l'espèce "éléphant d'Afrique" ou deux espèces distinctes.
Quelle qu'en soit la réponse, cela change peu quant à la qualité "biodiversifiée" du vivant. Il est difficile de quantifier, de façon objective, la biodiversification du vivant. Les paléontologistes ont remarqué,
épisodiquement, des chutes brutales de cette diversité, des extinctions massives. S'il existe aujourd'hui deux ou trois espèces d'éléphants, il en a existé de nombreux autres au Tertiaire et au Quaternaire. Ainsi donc la biodiversité des Proboscidiens (le groupe zoologique des éléphants) a diminué.
La biodiversité, malgré sa constation précoce, a été, malgré tout, perçue différemment depuis le 19e siècle, et surtout depuis Darwin. La biodiversité est devenue “évolutive” et est perçue maintenant dynamiquement. Linnée concevait une biodiversité en tiroirs indépendants.
1.2. La répartition de la biodiversité (apports de la biogéographie et de l'écologie) :
1.2.1. Biodiversité et latitude :
“La richesse en espèces augmente des pôles vers l’équateur pour la plupart des groupes taxinomiques...” (Christian Lévêque 2001)
Le milieu terrestre qui est considéré comme le plus diversifié est la forêt inter-tropicale. Les forêts tempérées présentent comparativement peu d'espèces.
A priori, deux explications peuvent être avancées :
- l'humanisation plus importante des régions tempérées aurait fait disparaître des espèces ;
- le climat chaud et humide des zones inter-tropicales favoriserait la biodiversité.
Mais, il semble que :
- les glaciations en Europe aient fait descendre les espèces vers le sud. Ce déplacement vers le sud aurait été arrêté par la Méditerranée, réduisant ainsi leur aire de répartition. Ici, l'homme n'y serait pour rien.
1.2.2. Biodiversité et pollution :
Les milieux aquatiques peuvent être plus ou moins biodiversifiés. C'est l'écologie qui nous apporte ici des informations. En effet, les milieux aquatiques pollués présentent une diversité moindre, à tel point que le nombre d'espèces différentes sert d'indice pour évaluer le degré de pollution. Il s'agit de la méthode des "indices biotiques".
1.2.3. Biodiversité et groupes zoologiques :
Les insectes “ont évolué en trois grandes explosions évolutives, au cours desquelles ils ont d’abord développé des ailes, puis la métamorphose avant de créer l’art de polliniser et d’inaugurer la vie en société. Grâce à ces avantages, les insectes représentent 85% de la diversité animale“ (André Nel 2002).
En considérant l’ensemble du vivant, il semble que la biodiversité au sein des groupes zoologiques soit en rapport inverse de la taille de leurs espèces. Il y a plus d’espèces chez les (petits) insectes que chez les (grands) mammifères.
2. Histoire de la biodiversité ou évolution du vivant (apports de la paléontologie)
2.1. Le constat de l'évolution :
La première structure à considérer dans l'histoire du vivant c'est la cellule. Les premiers êtres ont des cellules simples, ce sont les bactéries. Les être furent d'abord unicellulaires avant d'être pluricellulaires. Mais remarquons dès à présent que ces types cohabitent aujourd'hui. Il a fallu attendre que l'atmosphère s'enrichisse en di-oxygène et en ozone (Grâce à la photosynthèse des végétaux à partir de la fin du Précambrien) pour que la vie terrestre (terres émergées) se développe. Sans la couche d'ozone, la vie est impossible en dehors de l'eau. Aussi voit-on apparaître à l'Ère Primaire ou Paléozoïque, après les poissons, les premiers amphibiens qui ne sont pas totalement indépendants du milieu aquatique puisqu'ils se reproduisent dans l'eau. Les animaux qui apparaissent après, possèdent un liquide amniotique qui leur permet de se reproduire en dehors de l'eau. Ce sont les dinosaures, les lézards, les oiseaux... et les mammifères. On constate le même affranchissement vis à vis du milieu aquatique chez les végétaux : Après les algues, apparaîtront les mousses, puis les fougères (qui ont toujours besoin d'un petit film d'eau pour se reproduire). Enfin, les plantes à fleurs se libèrent de l'eau puisque les spermatozoïdes du pollen ne nagent plus dans l'eau, mais progressent dans un tube pollinique.
Cette histoire raccourcie du vivant sur la Terre (que l'on retrouve dans la classification phylogénétique) montre l'antériorité du mode de vie aquatique sur le mode terrestre.
Deux remarques s'imposent :
1) La coexistence des formes ancestrales avec les formes ultérieures si bien qu'actuellement les humains observant cette diversité ont sous les yeux simultanément presque toutes les grandes formes historiques de la vie ;
2) Les paléontologistes ont remarqué que cette évolution n'était pas linéaire. Ainsi les premiers mammifères ont cohabité avec les premiers reptiles du Secondaire (mésozoïque).
La classification phylogénétique du vivant (Lecointre 2001) intègre les données de l'évolution. L'histoire des sciences montre une évolution des façons de classer le vivant, lesquelles sont révélatrices des conceptions, depuis l'anthropocentrisme qui consiste à faire référence à l'utilité pour l'homme et à la comparaison avec l'homme, en passant par le fixisme et le typologisme de Linné (chaque espèce créée doit être placée dans une case), jusqu'à l'évolutionnisme moderne.
2.2. Le comment de l'évolution :
C'est principalement à partir du XVIIIe que les savants ont eu l'idée de l'évolution. Signalons que Linné était fixiste. Le XIXe va s'intéresser à son processus. Deux théories s'affrontent : le transformisme de Lamarck (1809) et l'évolutionnisme de Darwin (1859).
Différence entre le transformisme de Lamarck et l'évolutionnisme de Darwin :
2.2.1. Lamarck explique que le fourmilier a perdu ses dents parce qu'il a pris "l'habitude de n'exécuter aucune mastication" et que ce caractère s'est conservé dans les générations suivantes. C'est l'hérédité des caractères acquis. "Les serpents ayant pris l'habitude de ramper sur la terre, et de se cacher sous les herbes, leur corps, par suite d'efforts toujours répétés pour s'allonger, afin de passer dans des espaces étroits, a acquis une longueur considérable... Or, des pattes eussent été très inutiles..." (Lamarck, 1809)
2.2.2. Selon Darwin, la nature a tendance à se diversifier : "une légère différence entre les variétés s'amplifie au point de devenir une grande différence que nous remarquons entre les espèces". C'est le principe de divergence des caractères. La nature propose de nouveaux caractères. Seuls les caractères les plus avantageux permettront aux espèces qui les possèdent de survivre. Ainsi ces caractères sont transmis aux générations suivantes. “J’ai donné le nom de sélection naturelle ou de persitance du plus apte à cette conservation des différences et des variations individuelles favorables”.
La nature produit donc sans cesse de nouvelles espèces, compensées par des extinctions : "Nous pouvons affirmer que les formes les plus anciennes doivent disparaître à mesure que les formes nouvelles se produisent, à moins que nous n'admettions que le nombre des formes spécifiques augmente indéfiniment. Or la géologie nous démontre que le nombre des formes spécifiques n'a pas indéfiniment augmenté." On résout mieux aujourd'hui ce problème avec la connaissance des cinq grandes extinctions.
2.3. La biodiversité a été plusieurs fois attaquée au cours de l'histoire de la terre, ce sont les 5 grandes extinctions :
2.3.1. Fin de l'Ordovicien (440 millions d'années),
2.3.2. Fin du Dévonien ( 365 millions d'années),
2.3.3. Fin du Permien (225 millions d'années),
2.3.4. Fin du Triassique (210 millions d'années),
2.3.5. Fin du Crétacé (65 millions d'années).

Difficile de dire si ces catastrophes ont réduit la biodiversité d'aujourd'hui, mais il est certain qu'elles en ont modifié l'aspect. Ainsi les mammifères ont profité de l'extinction des dinosaures.
2.4. La biodiversité est aujourd'hui menacée :
les principales causes actuelles de la destruction de la biodiversité sont (Dajoz 2008) :
2.4.1. "La fragmentation et/ou la destruction des habitats." Ex : la dégradation du bocage ;
2.4.2. "Les invasions par des espèces étrangères véhiculées volontairement ou non par l'homme..." Ex : l'ambroisie ;
2.4.3. "Les pollutions" ;
2.4.4. "La surexploitation des ressources" ;
2.4.5. "Les modifications climatiques"
Concernant les menaces actuelles sur la biodiversité, certains auteurs n'hésitent pas à parler de la 6e extinction massive :
"Il s'agit là d'une véritable tragédie qui fait de cette hécatombe le sixième grand spasme d'extinction depuis l'explosion cambrienne de la vie il y a 600 millions d'années. La particularité de cette crise est d'être provoquée par des processus propres à la planète elle même - les activités d'une seule espèce, l'homme - et non pas par des catastrophes de type cosmique comme la collision d'une météorite..." (Blondel 2006).
3. La protection de la biodiversité :
“Plus de 150 Etats ont ratifié la Convention sur la diversité biologique qui reconnaît pour la première fois que la conservation de la diversité biologique est une « préoccupation commune à l’humanité » et qu’elle fait partie intégrante du processus de développement.” (http://www.ecologie.gouv.fr/Convention-sur-ladiversite.html)
3.1. Les rapports de l'homme à la diversité du vivant :
Les hommes apprécient de manières très différentes les animaux et végétaux sauvages qui l'entourent.
Trois types de comportements peuvent être identifiés (Pierre Joly 2006):
3.1.1. la raison économique (anthropocentrisme économique) : Les êtres vivants sont appréciés quand ils favorisent l'économie et détruits dans le cas contraire ; Exemple : destruction des insectes et des "mauvaises herbes" dans les cultures et les jardins potagers. C'est la conception utilitaire de la nature.
3.1.2. la raison psychologique (anthropocentrisme culturel) : Les êtres vivants sont considérés en raison de leur esthétisme ; Exemple : les orties dans les jardins d'agréments, les pissenlits sur la pelouse de la mairie, mais aussi la phobie des serpents et araignées. C'est la conception esthétique de la nature.

3.1.3. la raison écologique (écocentrisme et biocentrisme) : Les êtres vivants sont appréciés dans toute leur diversité parce que celle-ci est facteur de stabilité des écosystèmes ; Exemple : le maintien dans les forêts domaniales de quelques vieux arbres assaillis par les xylophages semblerait limiter l'impact de ces insectes sur les arbres exploités.
3.2. Pourquoi protéger la biodiversité ?
La protection de la biodiversité, donc de toutes les espèces encore existantes aujourd’hui ne va pas de soi. Argumenter pour la protection des requins mangeurs d’hommes met forcément dans l’embarras. Les poux et autres ecto-parasites sont-ils des éléments désirables de la biodiversité ? Si la protection des gorilles africains est facile à admettre pour un européen, celle des ours des Pyrénées est plus difficile à accepter par un éleveur pyrénéen. C’est bien souvent lorsqu’une espèce se raréfie que les hommes commencent à mieux l’estimer. On en vient donc à penser que ce sont plutôt les proliférations que les espèces elles-mêmes qui sont nuisibles.
3.2.1. Instabilité des écosystèmes simplifiés et des agrosystèmes :
"Pour conserver la stabilité il faut conserver la variété" (Joël de Rosnay). Une espèce dont les effectifs deviennent trop faibles sont sujets à la dérive génétique c'est-à-dire à l'aléatoire des gènes qui subsistent dans les quelques individus survivants. En dessous d'un certain seuil, l'espèce est condamnée à disparaître, à la fois par consanguinité et par dérive génétique.
"Un postulat plus ou moins intuitif est que les écosystèmes sont d'autant plus stables qu'ils sont diversifiés... La suppression d'une liaison sera rapidement compensée par la mise en place d'une autre. Certains résultats sont venus étayer cette hypothèse... La complexité tend à stabiliser les écosystèmes en amortissant les fluctuations temporelles des populations." Lévêque 2008
3.2.2. Biodiversité et complexité :
“Plus les écosystèmes sont complexes, plus le nombre d’espèces qui interfèrent est élevé et plus les populations sont stables. Des fluctuations importantes et rapides apparaissent dans les écosystèmes simples où peu d’espèces sont présentes et où les chaînes alimentaires sont courtes. Toute modification quantitative à un des niveaux trophiques se répercutera violemment sur les niveaux supérieurs car les espèces n’ont pas la possibilité de choisir d’autres sources alimentaires” (Dajoz, Dunod, 1971, p.239).
“La biologie occupe une place de choix dans l’étude de la complexité, et tous les systèmes vivants, même les plus simples, sont des systèmes complexes, le cerveau des vertébrés supérieurs étant probablement le système le plus complexe qui soit” (Ricard 2003). La forêt vierge est le symbole même de la complexité. La complexité se caractérise par l'impossibilité à tout y inventorier, impossibilité de l'exhaustivité des relations trophiques qui y ont lieu. L’épistémologie montre la tentation déterministe et dichotomique : "L'opposition tranchée entre animaux utiles et nuisibles semble (...) témoigner d'une ignorance flagrante de la complexité des réseaux alimentaires" (Jean-Marc DROUIN, Réinventer la nature, Desclée de Brouwer, 1991).
Au XIXe siècle, les manuels scolaires ont fait apprendre aux élèves la dichotomie "utiles et nuisibles". Les sentiments sur ces forêts ont progressé peu à peu depuis l’image négative de “l‘enfer vert” jusqu’au “poumon de la planète”, signe très net d’une valorisation des forêts équatoriales.
3.2.3. Biodiversité contre oxygène.
Exemple de la forêt vierge :
Contrairement à la forêt tempérée exploitée, la forêt vierge est très diversifiée, mais non excédentaire en oxygène. Elle n'est donc pas le "poumon de la planète" comme de nombreux médias l'ont écrit. C'est toute la faune et les champignons qui absorbent le dioxygène. Dans la forêt exploitée rationnellement, il y a peu de place pour la faune et la production de dioxygène est proportionnelle à la productivité. La forêt rationnelle est une pompe à carbone, mais cela se traduit par une pauvreté biologique. Quand on veut défendre la rationalité de la sylviculture, on omet généralement de préciser son corollaire, la faible biodiversité.
D'où les contradictions à propos de la gestion de la forêt : les vieux arbres creux favorisent la biodiversité mais ne produisent pas de bois d'oeuvre.
Exemple des termites :
Les termites respirent, comme presque tous les êtres vivants. On a calculé qu'ils produisent plus de dioxyde de carbone que toutes les combustions de pétrole (Pour la Science, mars 1983). Va-t-on pour autant détruire tous les termites de la planète ?
3.2.4. Biodiversité et biochimie.
Outre la biodiversité des espèces et des écosystèmes, il existe aussi une diversité biochimique. En effet, les espèce se caractérisent par une spécificité biochimique. La biochimie est d’ailleurs un critère utilisé pour confirmer ou infirmer les classifications anciennes.
Nous le voyons, les arguments pour la biodiversité sont d’ordre écologique (la stabilité des écosystèmes), d’ordre utilitaire et agricole (l’évitement des proliférations), mais aussi d’ordre sanitaire et thérapeutique (molécules pour l’industrie pharmaceutique).
3.2.5. Biodiversité et culture naturaliste.
L’abondance d’une flore et d’une faune diversifiée parmi les hommes a un avantage qui pourraît paraître anecdotique, mais qui concerne particulièrement l’éducation, c’est le développement d’une culture naturaliste : “La dénaturation de la planète, c’est aussi sa déculturation” (Philippe Saint-Marc, 1971).
3.3. La biodiversité, complexité et “Développement Durable”.
Les productions rationnelles et intensives des sylvi- et agri- cultures réduisent la biodiversité (Geneviève Michon).
Comment concilier l'économique, le social et la nature dans toute sa biodiversité ?
Les forêts domaniales peuvent avoir des rôles multiples : économique (production de bois, de gibier...), récréative (lieu de promenade), écologique (biodiversité) et environnemental (pompe à carbone).
3.3.1. Intérêt de l'énergie de la biomasse (le bois comme source d'énergie) dans la limitation de l'effet de serre :

Répondre à la question “pourquoi l'utilisation du bois réchauffe-t-il moins la planète que les énergies fossiles ?” nécessite la compréhension de la photosynthèse : Lorsque l’arbre grandit (et fabrique donc du bois) il pompe du dioxyde de carbone et rejette du dioxygène. La quantité de dioxygène produit par un arbre est égale celle qui sera nécessaire à sa combustion. Le bilan est donc nul, aussi bien pour le dioxyde de carbone que pour le dioxygène et donc la combustion du bois n’aggrave pas l’effet de serre. Cependant, l’utilisation massive des forêts comme source d’énergie nécessite sa rationalisation et donc réduit sa biodiversité.
3.3.2. Jachères et biodiversité :
Les jachères agricoles sont un autre exemple de conflit entre les différents domaines que sont économie, social et écologie : Elles ont été créées pour limiter les excédents, ce qui a été bénéfique pour la biodiversité, jusqu’à ce que la situation des denrées agricoles évolue vers l’insuffisance (à cause des carburants biologiques), incitant à la disparition des jachères au grand dam des naturalistes. Comment alors décider de la suppression ou non des jachères ?
Les carburants biologiques pour lesquels on s’était dans un premier temps enthousiasmé se montrent finalement moyennement intéressants quand on sait que leur culture nécessite pesticides (donc réduit la biodiversité) et ... énergie ; quand on sait qu’ils entrent en concurrence avec l’alimentation humaine.
3.3.3. Complexité :
Cette complexité des problèmes énergétiques montre qu’il n’existe pas “une” solution magique. La conscience de la complexité pourrait être une incitation à l’indécision (Edgar Morin). Il faut donc plutôt multiplier les nombreuses petites solutions aux problèmes énergétiques et inciter à la parcimonie de l’énergie.
On le voit la productivité (domaine de l’économie), l’effet de serre (domaine de l’environnement), et biodiversité (domaine de l’écologie) interfèrent.
Les programmes de l’école Primaire de 2002 souhaitaient “une prise de conscience de la complexité de l'environnement et de l'action exercée par les hommes”.
En 2004, une circulaire demandait à ce que les maîtres de tous les niveaux de la scolarité fassent une Éducation à l’Environnement et au Développement durable. Elle deviendra “Éducation au Développement Durable” en 2007.
3.3.4. Développement durable :
Le concept de Développement Durable (Brundtland 1987) présente une nouveauté par rapport à celui d’environnement, c’est d’intégrer plus explicitement les contraintes économiques et sociales. Il permet d’éviter les excès d’un intégrisme écologique (deep ecology) et de montrer que des préoccupations économiques ne sont pas forcément en contradiction avec l’environnement (http://fr.wikipedia.org/wiki/Développement_durable).
Il existe un “agro-écosystème” qui respecte les deux exigences de production économique et de respect de la biodiversité, c’est le bocage. Jadis très répandu, il a été fortement réduit lors des remembrements des années 1960 et 1970. on a fort judicieusement qualifié le bocage de forêt linéaire ou alvéolaire. La biodiversité du bocage s’explique par l’effet lisière. Le bocage est une lisière forestière festonnée, à valoriser donc dans une logique développement durable.

Conclusion :
Face aux problèmes environnementaux (pollutions, effet de serre...) et sociaux (pauvreté, famine...), le besoin de plus d’espaces humanisés se fait sentir pour approvisionner l’humanité en énergie et en nourriture. Comment faire pour préserver tout en même temps la biodiversité ? Pour que les hommes fassent les bons choix, il est nécessaire qu’ils comprennent mieux le fonctionnement de la biosphère et qu’ils aient une certaine conscience de la complexité. Celle-ci se manifeste à deux niveaux : la biosphère est complexe (du fait de la diversité du vivant et des relations trophiques) et les solutions à apporter le sont aussi.
Ainsi, c’est plus un panel de solutions qu’il faut avoir, comme la diversité des sources d’énergie et surtout les économies d’énergie qui réduiront l’impact sur les milieux naturels où se trouve la biodiversité.
La biodiversité, interférant avec les aspects sociaux et économiques de la planète (énergie, jachères, pauvreté, productions agricoles et forestières...), nécessite une approche interdisciplinaire. Aussi, en toute logique, “le programme de géographie contribue, avec celui de sciences, à l’éducation au développement durable” (BOEN du 19 juin 2008).
Bernard Langellier, Professeur des SVT à l'IUFM de Basse-Normandie, 2010
Citations et extraits (par ordre chronologique) :
1) Charles DARWIN, L'origine des espèces, chap. IV, 1859 (La Découverte, 1985, p.161) :
"Bien des circonstances naturelles nous démontrent la vérité du principe, qu'une grande diversité de structure peut maintenir la plus grande somme de vie. Nous remarquons toujours une grande diversité chez les habitants d'une région très petite, surtout si cette région est librement ouverte à l'immigration, où par conséquent, la lutte entre les individus doit être très vive. J'ai observé, par exemple, qu'un gazon, ayant une superficie de 3 pieds sur 4, placé, depuis bien des années, absolument dans les mêmes conditions, contenait 20 espèces de plantes appartenant à 18 genres et à 8 ordres, ce qui prouve combien ces plantes différaient les unes des autres. Il en est de même pour les plantes et pour les insectes qui habitent des îlots uniformes, ou bien des petits étangs d'eau douce. Les fermiers ont trouvé qu'ils obtiennent de meilleures récoltes en établissant une rotation de plantes appartenant à des ordres les plus différents...
Dans l'économie générale d'un pays quelconque, plus les animaux et les plantes offrent de diversités tranchées les appropriant à différents modes d'existence, plus le nombre des individus capables d'habiter ce pays est considérable."
2) Maurice GIRARD, Catalogue raisonné des animaux utiles et nuisibles de la France, destiné particulièrement aux Ecoles Normales Primaires et aux Ecoles Primaires, Hachette, 1878, Fascicule II : Animaux nuisibles :
p.5 : L'Ours brun : "N'est cité que pour mémoire, n'existant plus en France que dans quelques localités des Alpes ou des Pyrénées. - Signaler ses traces afin que des battues soient organisées."
p.8 : Le Loup : "Rechercher avec soin les traces de ce dangereux et redoutable animal, encore trop commun, surtout en hiver, dans beaucoup de nos départements, et signaler sa présence aux autorités locales, afin que des battues soient organisées immédiatement."
p.9 : Le Chat sauvage : "Existe encore dans les grands bois de nos départements montagneux ; très-nuisibles aux oiseaux, aux lapins, parfois aux lièvres. - A détruire. Il paraît se croiser avec nos chats domestiques. Il y a des sujets de ceux-ci qui redeviennent sauvages dans les champs et grands destructeurs d'oiseaux utiles, de lièvres, de volailles. Il faut tuer ces chats avec le même soin que le chat sauvage."
p.10 : L'Ecureuil : "Vit par couples sur les arbres, construisant un nid sphérique de mousses et de petites branches, et faisant dans les trous d'arbres de nombreuses cachettes de provisions ; mange beaucoup de noisettes et de fruits des bois ; est très-nuisible en rongeant les bourgeons, surtout dans les forêts d'arbres verts, où il empêche le développement des flèches."
p.18 : Le Grand-Duc : "N'est plus répandu que dans l'est de la France, et surtout dans les lieux montagneux ; détruit des gibiers, mais aussi des rats et des insectes, ce qui le rend utile en partie."
3) Les termites polluent (extrait de Pour La Science, Mars 1983) :
"P. ZIMMERMANN et J. GREENBERG… ont estimé la population de termites dans le monde à 24 X 1017… Les auteurs estiment que la production mondiale des termites en dioxyde de carbone est égale à 4,6 X 1016 grammes par an soit plus du double de la production mondiale en CO2 à partir de la combustion de pétrole…"
4) Rapport BRUNDTLAND (1987) : “un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de "besoins", et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir.“
5) Dossiers et documents, du Journal Le Monde, Juin 1990, numéro 178 p.3 : REBEYROL Yvonne, 15 avril 1989 : "La forêt tropicale humide serait le poumon de la planète (...). Cette thèse n'a pas de base scientifique (...). Tout milieu naturel en équilibre a un bilan nul... Cette fonction de stockage n'appauvrit l'atmosphère en gaz carbonique que pendant la période de croissance... D'autre part, la forêt tropicale humide est un extraordinaire réservoir de vie animale."
6) Impact des facteurs psychologiques sur la réduction de la biodiversité : les phobies (araignées, serpents...) et le besoin psychique de nettoyer la nature pour des raisons esthétiques (pelouses...) :
Robert HARRISON, Forêts, Essai sur l'imaginaire occidental, Flammarion, 1992, p.41.
"La pulsion destructrice envers la nature a trop souvent des causes psychologiques qui dépassent l'envie de biens matériels ou le besoin de domestiquer l'environnement"
7) Michel CHAUVET et Louis OLIVIER, La biodiversité, enjeu planétaire, Sang de la terre, 1993 :
“Précisons que biodiversité est synonyme de diversité biologique. Sous cette notion très globale on entend la diversité que présente le monde vivant à tous les niveaux : écologique, spécifique, génétique...
Dans un écosystème, on ne trouve pas des espèces en soi, mais des ensembles d’individus concrets, que l’on appelle des populations. On distingue classiquement la biocénose... et le biotope...
Les forêts, tropicales ou tempérées, ne sont pas le poumon de la planète. Cela n’ôte rien au fait qu’elles jouent un rôle essentiel dans le cycle de l’eau et dans la régulation du climat, ou dans la formation et la protection des sols. Une politique de conservation des espèces qui négligerait la conservation des milieux serait sans issue...”
8) Pierre JOLY, Les valeurs de la biodiversité et les motivations de sa conservation, in Philippe Lebrun, Biodiversité, état, enjeux et perspectives, De Boeck, 2006, p.49 : “La forte emprise de l’humanité... réduit fortement l’énergie et l’espace disponibles pour les nombreuses espèces, qui subissent ainsi de dramatiques effondrements démographiques.”
9) Jacques BLONDEL, De l'utopie écologiste au développement durable, le rôle de la biodiversité sur une planète en crise, in Biodiversité, état, enjeux et perspectives, De Boeck, 2006, p.27 à 34 :
“Le premier écueil pour apprécier la crise de la biodiversité est la très mauvaise connaissance de l'état des lieux, à savoir le nombre d'espèces actuellement vivantes, leur distribution et la nature réelle des risques qu'elles encourent (...).

Le nombre total d'espèces actuellement vivantes est compris entre 5 et 15 millions, probablement de l'ordre de 7 millions (May 1994). Sur ce nombre, guère plus d'un million et demi ont été décrites, ce qui signifie qu'au rythme actuel d'extinctions, la plus grande partie des espèces disparaîtront avant même d'avoir été trouvées et décrites. Il s'agit là d'une véritable tragédie qui fait de cette hécatombe le sixième grand spasme d'extinction depuis l'explosion cambrienne de la vie il y a 600 millions d'années. La particularité de cette crise est d'être provoquée par des processus propres à la planète elle-même - les activités d'une seule espèce, l'homme - et non pas par des catastrophes de type cosmique comme la collision d'une météorite...”
10) Roger DAJOZ, La biodiversité, l'avenir de la planète et de l'homme, Ellipses, 2008 :
p.47, Biomasse et biodiversité du sol : "On trouve dans un gramme de sol de richesse moyenne d'une région tempérée, 200 millions de bactéries, 600 000 actinomycètes et 500 000 spores de champignons, 70 000 amibes, 600 000 algues unicellulaires. Ces chiffres correspondent à des biomasses par hectare de 2 500 kg de bactéries, 600 kg de champignons, 700 kg d'actinomycètes et 50 kg d'algues.Il faut y ajouter de 250 à 2 250 kg d'animaux dont la moitié est formée de vers de terre. Le sol héberge donc une biomasse animale beaucoup plus élevée que la partie aérienne."
p.138, Espèces invasives : "Certaines plantes invasives sont aussi nuisibles pour l'homme... Une plante originaire d'Amérique du Nord, l'ambroisie Ambrosia artemisifolia, est arrivée en Europe occidentale vers 1860...Son pollen est très allergisant puisqu'il suffit de quelques grains par m3 pour provoquer une réaction."
La biodiversité n’a pas un radis
Analyse Alors que de plus en plus d’espèces, végétales comme animales, sont menacées, les discussions à la conférence des Nations unies, à Hyderabad, ont achoppé sur le financement.
Hyderabad ne restera pas dans les mémoires : au terme de deux semaines de discussions, les 180 pays réunis dans cette ville indienne pour la conférence des Nations unies sur la diversité biologique devraient se quitter sur un accord a minima. Au mieux… Hier soir, la question centrale - celle des financements en faveur de la protection de la nature -, à laquelle sont suspendues toutes les autres décisions, était toujours âprement discutée. «S’il n’y avait pas d’accord sur les financements, ce serait au pire la mort des objectifs de sauvegarde de la biodiversité définis lors de la conférence de Nagoya en 2010 et, au mieux, deux années de perdues»,s’inquiétait Sandrine Bélier, députée européenne (Europe Ecologie-les Verts).
«Le texte de l’accord prévoit un doublement d’ici à 2015 des flux publics et privés consacrés par les pays du Nord aux mesures de protection de la nature dans les pays en développement, par rapport à une moyenne annuelle de ces flux sur la période 2006-2010», expliquait hier Romain Pirard, économiste de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Il est très difficile d’évaluer ces flux : à la louche, on estime les financements publics et de mécénat internationaux à près de 10 milliards de dollars (7,6 milliards d’euros) par an. «Mais les Etats n’ont pas fait leur travail : les pays du Nord devaient mettre en place un système d’évaluation de ces flux financiers et les pays en voie de développement devaient arriver avec un chiffrage de leurs besoins pour protéger leur biodiversité», souligne Romain Pirard. La majorité des Etats sont arrivés le cartable vide.
«Garde-fous». La protection des milieux marins, notamment en haute mer, là où ne s’appliquent pas les législations nationales, a aussi fait l’objet de discussions serrées. Hier, à Hyderabad, la ministre française de l’Environnement, Delphine Batho, a défendu la création d’un «statut environnemental de la haute mer». «On ne peut protéger les océans si personne n’est responsable et s’il n’y a pas de règle», a-t-elle avancé. Ce sera hélas encore le cas pour un moment : les négociateurs ne sont parvenus qu’à établir une liste d’une cinquantaine de zones sensibles à protéger dans le Pacifique ouest, les Caraïbes et la Méditerranée. Des zones qui «préfigurent des garde-fous pour les espèces marines face au développement de la pêche et de la prospection pétrolière en haute mer», espérait Patricio Bernal, de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Mais à Nagoya, la communauté internationale s’était engagée à mettre en place, d’ici à 2020, des «aires protégées gérées efficacement et équitablement» couvrant au moins 10% des zones marines et côtières. Pour l’heure, seul 1,6% du domaine océanique est protégé.
Et pourtant, «la maison brûle», pour reprendre l’expression de Jacques Chirac en 2002, lors du sommet de la Terre de Johannesburg. Témoin, la liste des espèces menacées d’extinction, établie par l’UICN, présentée à Hyderabad. Depuis la dernière version, publiée en juin, plus de 400 végétaux et animaux ont rejoint la liste rouge. Sur les 65 518 espèces étudiées par l’UICN (sur 1,8 million d’espèces recensées dans le monde et 15 millions probablement existantes), près du tiers est menacé d’extinction : 4 088 espèces sont en danger critique d’extinction, 5 919 en danger et 10 212 vulnérables.
Palmiers. «L’un des 20 objectifs de Nagoya est d’enrayer l’extinction des espèces menacées connues et d’améliorer leur état de conservation d’ici à 2020, rappelle Sébastien Moncorps, directeur de l’UICN France. Mais pour les mammifères, oiseaux et invertébrés, les trois groupes dont toutes les espèces connues ont été évaluées, la situation est toujours aussi critique : 25% des mammifères, 12% des oiseaux et 40% des amphibiens sont menacés.» Et à chaque fois que l’UICN s’intéresse à un nouveau groupe, «on trouve un taux d’au moins 20% d’espèces menacées», alerte Sébastien Moncorps.
C’est souvent bien pire. A Hyderabad, l’UICN a insisté sur la situation «terrifiante» des palmiers de Madagascar, l’un des sites les plus riches en termes de biodiversité. L’île compte 192 espèces de palmiers endémiques : 83% sont menacés d’extinction, alors que les populations les plus pauvres en dépendent pour la nourriture et les matériaux de construction. Leur disparition est due au défrichage pour l’agriculture et à l’exploitation des forêts. Une autre étude publiée lundi montre que les lémuriens de Madagascar figurent parmi les primates les plus menacés de la planète, en raison de la destruction de leur habitat et du braconnage. L’île a en effet déjà perdu plus de 90% de ses forêts
ELIANE PATRIARCA
Déforestation, Biodiversité, Peuples autochtones
« Forêts tropicales : c’est fichu ! »
 « Nous sommes à la veille de la plus grande crise d’extinction depuis la disparition des dinosaures. » Ahmed DJOGHLAF,
secrétaire de la Convention sur la Biodiversité.
Qu’est-ce que la forêt ? Déjà une controverse ! La FAO donne une définition très large et ne différencie pas plantations industrielles (monoculture, très faible diversité) et forêts primaires (diversité maximale).
La forêt tropicale humide, qui s’étend d’un tropique à l’autre en Amérique, en Afrique et en Asie est concernée en priorité par la déforestation. Toujours verte, installée sur des sols pauvres qu’elle protège de l’érosion depuis 40 mètres de haut, elle maintient les équilibres hydrologiques régionaux et modère les variations climatiques. La forêt participe au recyclage du CO2. Cependant l’expression « poumon de la planète », pour les forêts anciennes comme la forêt amazonienne, n’est peut-être pas exacte : seule la forêt en croissance aurait un bilan positif de ce point de vue. C’est un autre sujet de polémique…
Nous ne connaissons que 2% à 3% des formes de vie de notre planète. Au moins la moitié de ces espèces vivent dans les forêts tropicales. Nous ne nous rendons guère compte au quotidien de l’importance primordiale de cette diversité, tant nous sommes assujettis à notre quotidien, aux dix animaux et vingt plantes qui composent l’essentiel de notre alimentation. Dans un hectare de forêt tropicale humide on peut généralement recenser entre 50 à 200 espèces d’arbres, alors que l’on en compte rarement plus de dix dans un hectare de forêt tempérée. La disparition d’une espèce entraîne simultanément la perte de tout son potentiel génétique et peut entraîner des réactions en chaîne, induisant d’autres disparitions. Or « Nous sommes à la veille de la plus grande crise d’extinction depuis la disparition des dinosaures. »
Les causes de la déforestation
Selon le rapport 2007 de la FAO, des progrès ont été accomplis sur la voie de la gestion durable des forêts. Cependant la déforestation atteint maintenant 13 millions d’hectares par an. Cela concerne d’abord les forêts tropicales, tandis que la superficie des forêts augmente en Europe. Mais si la forêt française semble bien se porter au point de vue quantitatif, avec une superficie totale en augmentation, il n’en est pas de même au plan qualitatif avec des reboisements monospécifiques.
L’agriculture sur brûlis qui s’intensifie sous la pression démographique, aboutit à une stérilisation des sols. Le ranching amazonien substitue la prairie pour l’élevage bovin aux forêts anciennes, laissant au bout de quelques années des sols épuisés. La concentration de terres s’accompagne de conflits sociaux souvent violents. Les monocultures sur lesquelles reposait la colonisation (thé, café et cacao, épices et aromates)  se sont étendues (bananes, papayes et ananas), avec l’habituel « paquet technologique » hérité de la Révolution verte des années 1960 (mécanisation, engrais chimiques, herbicides et pesticides, parfois irrigation, mais aussi réseaux routiers étendant la déforestation). Le palmier à huile est devenu la cause principale de déboisement en Indonésie, et commence à porter atteinte aux forêts dans bien d’autres pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine : on l’utilise dans l’industrie agroalimentaire et pour la production de carburant. Aliment du bétail riche en protéines et lui aussi matière première pour la production d’agrocarburant, on dit du soja qu’il est l’un des plus féroces ennemis de la forêt brésilienne. L’esclavagisme est une réalité quotidienne dans certaines grandes exploitations agricoles du Brésil. Les forêts de mangroves sont converties en élevages de crevettes après déboisement, et totalement appauvries.
Les barrages hydroélectriques inondent des centaines de milliers de kilomètres carrés, parfois dénoncés comme « folie technique et environnementale ».
Les gouvernements encouragent les industries minières (étain, cuivre, or, bauxite, cobalt, charbon, minerai de fer, pétrole, gaz naturel), qui impliquent d’importants défrichements et des pollutions annexes. La Guyane vend 2 fois plus d’or qu’elle n’en produit légalement. L’orpaillage - officiel ou clandestin- a pour corollaire l’invasion des réserves indigènes, la diffusion des maladies, l’insécurité, la contrebande, la corruption, la pollution par le mercure des rivières, des poissons et des populations qui s’en nourrissent.
L’exploitation pétrolière provoque des dégâts sur l’environnement : perturbations de l’écosystème, construction de routes et d’héliports, pollution par les déchets toxiques et la combustion permanente des torchères, fuites sur les oléoducs, etc. Certaines compagnies pétrolières sont accusées d’avoir provoqué des déplacements de populations autochtones, voire des exterminations. Cependant certaines compagnies, soucieuses de leur image, mettent en avant leurs préoccupations environnementales, s’engageant à remettre intégralement le site en état et à veiller à une réhabilitation optimale et durable.
Le recul des forêts tropicales était déjà marqué à la veille de la Seconde Guerre mondiale. La productivité des déboiseurs s’est accrue durant la seconde moitié du XXe siècle, avec la mécanisation et les aménagements routiers. Les forêts sont souvent parmi les victimes des guerres, comme au Laos et au Vietnam où les Américains ont détruit systématiquement d’immenses territoires.
Depuis la fondation de l’ONU en 1945, l’exploitation des forêts mondiales a été régulée par de multiples organisations. De rapports en programmes, les préoccupations relatives au recul des forêts tropicales et de la biodiversité qu’elles abritent se sont affirmées. Les Etats ont décidé de réguler ou interrompre les exportations et l’exploitation forestière. Mais il y a loin, parfois, entre les décisions et leur application. Les politiques forestières du Brésil en Amazonie depuis une cinquantaine d’années montrent bien l’évolution des mentalités et des pratiques.
En 2003, tandis que pour la FAO le protocole de Kyoto est entré en vigueur, « avec des conséquences majeures pour le secteur », Frédéric DURAND, Francis HALLE, et Nicolas HULOT proclament que désormais « Forêts tropicales : c’est fichu ! ».
Deux points de vue s’affrontent dans le débat sur l’avenir des forêts. Les forestiers, les grandes institutions (FAO) et les élites locales, rendent les paysans et les petits exploitants régionaux responsables de la déforestation. Les ONG, les églises, partis politiques, syndicats, associations locales, etc., dénoncent l’activité de prédation des grands groupes et des gouvernements complices. Les ONG, porteuses d’un discours à la fois mobilisateur et parfois réducteur, se sont placées « dans une triple position de juge, d’arbitre et d’acteur. »
L’exploitation des produits de la forêt
La forêt tropicale procure à ses habitants une grande diversité de matériaux et de produits nécessaires à leur vie quotidienne (constructions, outils, vannerie, instruments de musique, plantes médicinales…). L’alimentation combine souvent les produits de l’agriculture à ceux de la prédation (cueillette, chasse, pêche).
Le bois est aux trois-quarts un combustible et une source d’énergie (charbon de bois) dans le monde tropical, tandis qu’il est essentiellement utilisé comme matière première industrielle dans les pays du Nord. Les bois tropicaux ne constituent que 20% de la production mondiale de bois et leur commerce mondial porte de plus en plus sur des produits transformés comme les contreplaqués ou la pâte à papier. Les pays d’Asie du Sud-est (Indonésie, Malaisie, ThaÏlande) ont développé à grande échelle une industrie d’exploitation et de transformation du bois qui s’intéresse maintenant à l’Afrique.
L’agroforesterie associe sur une même parcelle des arbres et des cultures annuelles ou des prairies.
La forêt est la source d’une large gamme de produits non ligneux : fruits, gommes, résines, huiles, écorces, essences, fibres, substances médici­nales, colorants, etc, dont la révolution industrielle du XIXe siècle a révélé l’importance. La collecte du caoutchouc est, comme le cacao au XVIIe siècle, le modèle ancien de l’extractivisme (parfois réhabilité aujourd’hui), qui concerne aussi la noix du Brésil ou l’huile essentiel­le de bois de rose destinées au commerce international. Les « rois du caoutchouc » dirigeaient un réseau d’intermédiaires finançant les propriétaires des plantations menant la traque et l’extermination des Indiens. Au bas de l’échelle, les seringueiros chargés de recueillir le latex, réduits à un quasi-esclavage par un système d’endettement. Dans les années 1980, les seringueiros et les Indiens prirent conscience de la convergence de leurs intérêts à pré­server la forêt de l’exploitation intensive des forestiers et des éleveurs.
Outre des aliments (noix du Brésil, cœurs de palmiers), la forêt fournit au commerce international des plantes indispensables à la chimie et à la pharmacie qui en font des cibles de la biopiraterie. On estime qu’environ 40% des médicaments commercialisés par l’industrie pharmaceutique contiennent des sub­stances originaires des forêts tropicales.
La forêt amazonienne (Pérou, Colombie) abrite aussi la culture de la coca et le narcotrafic, suscitant les déboisements, la pollution des rivières et des bouleversements sociaux dans un climat d’extrême violence attisée par les groupes révolutionnaires.
Les peuples autochtones
Le respect des populations locales et de leurs droits faisait rarement partie des préoccupations des colonisateurs. Les Etats devenus indépendants n’ont pas toujours été plus attentifs. Puis les politiques ont visé à la sédentarisation des populations itinérantes et à leur acculturation - c’est-à-dire leur intégration, souvent en parallèle avec les missions chrétiennes, les discours mêlant le progrès technique et social avec le prosélytisme religieux. Les missionnaires peuvent être les principaux agents de l’acculturation : d’abord pacification et aide médicale, puis enseignement de l’agricul­ture, et enfin catéchèse et conversion à de la religion et à la morale catholiques. Tandis que les affrontements entre les communautés indigènes et les bûcherons sont de plus en plus fréquents, les missionnaires pacificateurs ouvrent la voie à la planification et aux multinationales.
Il faut attendre 1982 pour que les Nations unies reconnaissent l’existence de « peuples autochtones », définis comme les des­cendants des premiers habitants des territoires conquis. En 1992, le prix Nobel de la paix est attribué à une indienne du Guatemala, Rigoberta Menchu, en reconnais­sance de sa lutte pour la défense des droits des peuples indigènes des Amériques. Le célèbre Agenda 21 reconnaît (principe 22) que les « peuples autochtones » ont un rôle vital à jouer dans la gestion de l’environnement et la préservation de la biodiversité, du fait de leurs connaissances et pratiques traditionnelles ; ce qu’a confirmé la Convention sur la diversité biologique, puis la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée en septembre 2007 malgré l’opposition de l’Australie, du Canada, de la Nouvelle-Zélande et des Etats-Unis.
Les associations fondées par les Indiens dans la plupart des pays d’Amérique latine, s’armant des droits qui leur sont constitutionnellement reconnus, ont pour vocation de défendre leur patrimoine matériel et spirituel, avec l’aide de tous ceux de l’autre camp qu’ils peuvent accepter comme alliés ou protecteurs.
Il existe encore des peuples autochtones qui vivent de la forêt presque de la même manière qu’il y a cinq cents, six cents ou mille ans, et que l’avancée des fronts forestiers et miniers menace d’aliénation, de dégradation et de mort culturelle, de maladies physiques contre lesquelles ils ne sont pas immunisés, de déportation ou d’extinction.
« Cela dit que pouvons-nous faire ? Agir à long terme, pour les aider à maîtriser leur futur, à obtenir une identité, un statut social qui s’intègre dans le système national du pays où ils demeurent géographiquement, et cela sans devoir sacrifier leur culture et leur vision propre de l’Univers. Sans perdre leur propre structure sociale, leur langue et leurs croyances. Sans quitter leurs terres ou les voir envahir. Sans immoler au nom du « progrès » cette incommensurable joie de vivre qui leur est propre. »
L’ONU lance la décennie pour la biodiversité : 2011-2020
10 ans pour que l’Homme vive en totale harmonie avec la Nature. 10 ans pour que les ressources naturelles soient correctement gérées… C’est l’objectif que l’ONU vient de fixer à toute l’humanité : faire de la prochaine décennie une période dédiée à la protection de la biodiversité
Sauver la biodiversité pour sauver les Hommes
Aide la Nature et la Nature t’aidera. C’est en substance le message lancé par Ban Ki-Moon, Secrétaire général des Nations Unies il y a quelques jours, lors du lancement officiel de la décennie pour la biodiversité.
Celui-ci a exhorté toutes les populations à revenir à des valeurs proches de la Nature, pour notre génération et pour les générations à venir. Pour ce faire, il préconise la mise en oeuvre d’un plan stratégique sur la période de 2011 – 2020.
Ban Ki-Moon a ainsi déclaré : « La diversité biologique et les produits que nous en tirons sont vitaux pour l’humain et l’humanité grandissante et le développement réellement durable dépend de cette biodiversité »
En d’autres termes, tout l’enjeu est là : sauver la biodiversité pour sauver les Hommes.
Préserver les écosystèmes pour créer de l’emploi
L’ONU pousse chaque gouvernement à établir un plan stratégique visant à sauver la biodiversité en l’intégrant à tous les niveaux de l’économie comme l’urbanisme ou l’agriculture par exemple. Chaque gouvernement dispose de 10 ans pour participer activement à la protection de 8 millions d’espèces.
Selon Kiyo Akasaka, Secrétaire général adjoint des Nations Unies à la communication et à l’information, en maintenant une certaine stabilité des écosystèmes, on maintient des emplois. Ainsi il souligne : « Sauvegarder [les écosystèmes] aide aussi à préserver la croissance de l’emploi. Alors qu’il y a en ce moment une forte proportion de jeunes au monde, l’utilisation durable de la biodiversité n’est pas une approche écologique isolée, mais un pilier indispensable du développement durable pour les générations à venir ».
Sauver la biodiversité pour sauver l’économie, tout un programme !
Nous y sommes…Ici et maintenant à Die
Ecologie au Quotidien, Rhône-Alpes
Le Chastel 26150 DIE, France
Tel : 04 75 21 00 56       
Vidéos des Rencontres de l'Ecologie
Film de 1,56mn : http://www.terrealter.fr/voir.php?id=4
2009 Film de 2,30mn : http://www.dailymotion.com/video/xa2yh4_ecologie-au-quotidien_webcam?from=rss