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dimanche 10 février 2013

Déserter les sectes gauchistes ?

Pourquoi je quitte le NPA pour la Fédération Anarchiste
de : Philippe Corcuff
lundi 4 février 2013 - 19h38

Un départ mélancolique après 15 ans dans la galaxie LCR/NPA… et l’ouverture à de nouvelles explorations libertaires… 

« Je m’en vais bien avant l’heure
Je m’en vais bien avant de te trahir
Je m’en vais avant que l’on ne se laisse aller
Je m’en vais avant que l’on puisse en rire
[…]
Je m’en vais car l’on s’est vu voler
Je m’en vais avant que l’on ne puisse atterrir
[…]
Je m’en vais en te voyant sourire
[…]
Je m’en vais pour tout recommencer
Je m’en vais pour ne jamais m’assagir »
Miossec, Je m’en vais, 2004.


Depuis le lycée, j’ai connu un itinéraire militant tâtonnant : Mouvement de la Jeunesse Socialiste (en septembre 1976, en seconde), PS (1977-1994), Mouvement des citoyens (1993-1994), Verts (1994-1997). Mais j’ai commencé ma première grève dès 1973, en 5e, contre la réforme des sursis militaires de Michel Debré. Avec un groupe de militants Verts hostiles à la participation au gouvernement Jospin, je quitte le parti écologiste pour créer le réseau SELS (Sensibilité Ecologiste Libertaire et radicalement Sociale-démocrate), qui publie le 13 décembre 1997 un Manifeste : « Pourquoi nous nous liguons ? » (1). Un accord expérimental interviendra entre le groupe SELS et la LCR début 1998, qui conduira à l’adhésion de ses principaux animateurs en 1999 (dont les trois autres membres du quatuor initial : Claire Le Strat, Lilian Mathieu et Willy Pelletier).
En fait, j’ai connu deux grandes « familles » politiques : le CERES (d’abord courant de gauche du PS –dont la figure centrale pour moi fut un intellectuel-dirigeant marxiste nommé Didier Motchane, et non pas Jean-Pierre Chevènement– transformé en courant du PS Socialisme et République, puis en parti MDC) pendant 19 ans et la galaxie LCR-NPA pendant 15 ans. Ces deux belles aventures militantes débouchèrent sous deux formes différentes d’impasse : impasse nationaliste-étatiste-institutionnaliste pour le CERES-MDC (2). Quant au NPA, on va y venir…
De quoi être mélancolique au bout de plus de 36 ans de militantisme partisan, associé à des engagements syndicaux, associatifs et extra-associatifs (dans des collectifs divers) ! Pourtant, dans un air du temps qui porte, de l’extrême droite à la gauche de gauche, aux aigreurs du ressentiment (3) et au nostalgisme (le « c’était mieux avant ! ») sur fond d’adaptation à la logique de l’immédiateté, il apparaît important de s’efforcer de rebondir, sans perdre les bouts de lucidité générés par l’expérience mélancolique des échecs passés, dans une mélancolie joyeuse aiguisant la goût de la curiosité. Cela fait neuf mois que ma réflexion s’est engagée (4), que j’ai longuement discuté avec les uns et les autres au sein du NPA, que j’ai amorcé des relations amicales et expérimentales avec le Groupe Gard Vaucluse de la Fédération Anarchiste. Au lendemain du IIe congrès du NPA, ma décision est prise : je quitte cette organisation pour la Fédération Anarchiste.
 LCR/NPA : une belle aventure transformée en impasse
La Ligue Communiste Révolutionnaire des années 1990 avait deux atouts importants dans sa besace, ancrés dans son histoire post-soixante-huitarde :
1) une insertion parmi des animateurs nationaux et locaux de structures syndicales et de mouvements sociaux, atout symbolisé à l’époque par quelqu’un comme Christophe Aguiton (avec d’autres figures syndicales comme Hélène Adam, Catherine Lebrun, Pierre Khalfa, Léon Crémieux, etc.), qui a permis à des militants de la LCR de jouer un rôle significatif dans le renouveau de la contestation sociale et l’émergence de nouveaux réseaux (ATTAC, mouvements de chômeurs, syndicats SUD, collectifs de sans-papiers et de sans-logis, etc.) ;
et 2) une activité intellectuelle soutenue, dans une époque de désintellectualisation à gauche, autour d’un marxisme ouvert en dialogue avec d’autres courants critiques et radicaux, symbolisée par Daniel Bensaïd et son travail théorique multiforme aux divers bourgeons hérétiques (5), mais aussi d’autres intellectuels-militants comme Michael Löwy, Samy Johsua, Enzo Traverso, Antoine Artous, Philippe Pignarre, Janette Habel, Catherine Samary, Josette Trat, Michel Husson, François Coustal, Pierre Rousset, Jacques Fortin, Alain Maillard, Charles Michaloux...
Et ces deux atouts étaient inscrits dans une dynamique de dépassement de la « culture léniniste-trotskyste ouverte » qui était celle de la LCR vers un nouveau type d’organisation politique, pluraliste et porteuse d’une diversité de radicalités sociales et intellectuelles. Sans cette configuration, quelqu’un comme moi, plutôt formé à un critique du « léninisme » autour de la figure de Rosa Luxemburg (6), n’aurait pas rejoint un cadre culturel si éloigné du sien. J’ai fait le pari de la pratique en mouvement contre l’inertie identitaire. Ces deux atouts ont été ensuite renforcés par l’émergence d’Olivier Besancenot sur la scène publique et ses capacités à déplacer les langues de bois militants au profit d’un langage politique ouvert sur la vie. Dans un autre style et à partir d’une autre expérience sociale, Philippe Poutou a continué dans la voie d’une rénovation du langage politique. Et pourtant, le pari fait en décembre 1997, dont j’avais pu croire, avec la création du Nouveau Parti Anticapitaliste en février 2009, qu’il était pleinement justifié, a finalement échoué.

Presque 10000 membres à sa fondation, aujourd’hui entre 2000 et 2500 membres : ces chiffres, pourtant significatifs, disent pourtant encore mal l’effondrement rapide de la promesse NPA. Le NPA n’a pas su trouver les voies d’un nouveau type d’organisation, inventant des pratiques militantes renouvelées davantage ajustées à la perspective d’auto-émancipation des opprimés. La quête d’une forme politique rénovée, avec une main dans les institutions existantes (la participation aux élections) et deux pieds et une autre main dans une mise à distance de la politique institutionnelle traditionnelle, n’a pu se concrétiser. Le NPA n’a pas su résister à la culture avant-gardiste de son axe initiateur, la LCR, dont le jeune Trotsky avait saisi lucidement les effets « substitutistes » (substitution du parti aux masses, des dirigeants aux militants, etc.) contre Lénine (7).
La culture avant-gardiste de la LCR s’est alors divisée en deux pôles attracteurs principaux : un pôle politicien faisant de l’intervention dans la politique professionnelle le point d’application principal (la majorité des animateurs de ce pôle a rejoint le Front de gauche) et un pôle révolutionnariste affirmant le primat traditionnel du parti révolutionnaire (qui constitue une forte minorité du NPA –presque 41% à l’issue de ce congrès– dans des formes dogmatiques archéo-bolchéviques que ne connaissait pas la LCR des années 1990). La majorité du NPA (51% lors de ce deuxième congrès) n’a pas réussi à inventer une autre position, permettant de penser et de pratiquer autrement le rapport entre organisation et auto-émancipation. Elle a plutôt exprimé, en fonction des moments, des hésitations et un bricolage entre les deux pôles. Olivier Besancenot est des rares à avoir en tête l’invention d’une configuration à la fois libertaire et marxiste d’un autre type, nourrie des défis posés par la pensée de Jacques Rancière, mais il est bien seul dans ce cas…
La grande majorité des animateurs nationaux et locaux de l’ex-LCR et du NPA (dont ceux qui ont rallié le Front de gauche) ont abandonné en pratique, comme nombre d’organisations politiques existantes, le chemin de l’auto-émancipation des opprimés, en passant subrepticement du verbe pronominal s’émanciper (selon l’adage de la Ie Internationale ouvrière en 1864 écrit par Marx et soutenu par Bakounine : « l’émancipation de la classe ouvrière doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ») au verbe transitif émanciper (comme on a émancipé les esclaves). La petite plateforme W (à laquelle j’ai participée), qui a courageusement défendu les chemins de la refondation auto-émancipatrice, n’a recueilli que 8% des voix lors de ce deuxième congrès. Dès le départ du NPA, les militants, de la base au sommet, ont nourri un fort déficit d’expérimentation de nouvelles pratiques politiques, et se sont rapidement calés sur les routines du vieux langage politique et de la vieille prétention avant-gardiste (sous ses deux faces : politicienne/révolutionnariste). « Le mort saisit le vif », écrivait Marx dans la préface à la première édition du livre 1 du Capital, en 1867, c’est-à-dire qu’ici le passé mort a tendu à écraser les possibilités créatrices du présent.
Mais alors qu’un « Nouveau » Parti Anticapitaliste n’arrivait pas à naître réellement, les atouts antérieurs de la LCR ont peu à peu disparu : les capacités animatrices dans l’univers syndical et dans les mouvements sociaux se sont amenuisées de manière drastique –la « période Aguiton » est maintenant loin derrière nous– et le travail théorique comme les liens noués avec les milieux intellectuels critiques se sont effilochés –après sa mort la « période Bensaïd » s’est écroulée. Bref ce qui est en jeu aujourd’hui, ce n’est pas seulement les possibilités gâchées du NPA et la déception bien au-delà du NPA, c’est aussi la régression par rapport à la LCR elle-même, à laquelle ont principalement contribué les membres du NPA eux-mêmes (et peu leurs concurrents et adversaires). Quinze ans de militantisme soutenu au sein d’une « culture léniniste-trotskyste ouverte » qui n’était pas la mienne et qui n’est toujours pas la mienne pour en arriver… en-deçà de mon point de départ, alors que les plus mauvais côtés de la « culture léniniste-trotskyste » semblent avoir pris le dessus sur les meilleurs. Il est bien temps de partir. Même si je garde beaucoup d’attaches et de souvenirs avec les camarades que je quitte. Je pense, par exemple, au sens aigu de l’intérêt général du mouvement ouvrier que j’ai pu observer chez un des principaux piliers méconnus de la LCR et de la IVe Internationale, François Sabado.

Maurice Merleau-Ponty m’a appris que la politique se nourrit au mieux de paris raisonnés dotés de repères partiels en situation d’incertitude historique (8). Les paris raisonnés sur l’avenir du NPA que continuent à faire mes amis Olivier Besancenot et Philippe Poutou comme mes camarades de la plateforme W ne sont plus les miens. Mais il n’est pas impossible qu’ils aient, cette fois, raison et que, une fois de plus, j’ai tort. Ainsi vont les mystères d’une histoire dont personne ne peut prétendre posséder les clés.

Je continuerai à donner des coups de main, quand ils me solliciteront, à Philippe Poutou et à Olivier Besancenot, mais hors du NPA. Je continuerai aussi à échanger avec les camarades du NPA qui sont inscrits sur la liste internet du Réseau de réflexions et de pratiques autogestionnaires et libertaires dans le NPA, qui est ouverte aux non-membres du NPA. Et je garderai un lien avec la IVe Internationale, via mon abonnement à son excellente revue Inprecor. Mais ma cotisation, mes abonnements à la presse du NPA et mon inscription sur ses listes internet seront résiliés à partir d’aujourd’hui, ce qui prendra effet au plus tard début mars 2013. Dès 1981, le dirigeant communiste italien Enrico Berlinguer déclarait que « la force propulsive de la Révolution d’Octobre » était « épuisée ». Je reprendrai facilement la formule aujourd’hui en incluant le « lénino-trotskysme » de la LCR. Et je fais l’hypothèse que ce n’est pas autour d’un tel axe, ni même autour d’un axe « marxiste » plus large, que pourrait être reconstituée une galaxie anticapitaliste et émancipatrice demain, même si des militants issus de ces traditions pourraient utilement apporter leurs pierres à l’édifice.
La Fédération Anarchiste : un repli exploratoire pour préparer l’avenir
Quitter le NPA, certes, mais pourquoi pas pour le Front de gauche, me demande-t-on régulièrement ? Parce que je considère aussi le Front de gauche comme incarnant une série des régressions - régressions plus profondes que celles du NPA - et une impasse sur la voie d’une nouvelle politique d’émancipation pour le XXIe siècle. Que peut-on dire de ces régressions quant à certains acquis altermondialistes récents ?
- régression vers la double fétichisation de la professionnalisation politique et de « l’homme providentiel » vis-à-vis de la critique démocratique et libertaire des régimes représentatifs professionnalisés ;
- régression cocardière par rapport à la perspective altermondialiste ;
- régression laïcarde par rapport à une laïcité interculturelle ;
- régression républicarde-centraliste par rapport à une République associant espaces communs et diversité ;
- régression étatiste dans la conception de la transformation sociale.
Je reconnais volontiers toutefois un point positif au sein du Front de gauche : la capacité du Parti de gauche à avoir fermement associé très tôt question sociale et question écologiste, plus récemment sous les couleurs de l’écosocialisme. Mais, globalement, je fais l’hypothèse qu’une expérimentation de nouvelles pratiques politiques ne pourra y être que marginale dans la double logique politicienne et centraliste pesant sur sa structuration.

Des voix ont, par contre, été longtemps minorées et marginalisées à gauche : les voix libertaires et anarchistes. Or, ces voix ont notamment pointé une tendance transversale à tout un ensemble d’expériences réformatrices ou révolutionnaires : la tendance, sous des formes soft (parlementaires) ou hard (autoritaires, voire totalitaires), à la concentration politique des pouvoirs. La prise en compte de cette tendance passe par la critique des mécanismes de représentation et de professionnalisation politique comme des logiques avant-gardistes. Les sensibilités anarchistes et libertaires ont souvent préservé également une place de choix pour les individualités dans une perspectives émancipatrice alors que, saisies par les évidences d’un « logiciel collectiviste », les autres forces de gauche ont tendu à faire disparaître l’individu, sous la pression du collectif, de l’horizon mental des gauches. L’anarchisme est donc à réévaluer aujourd’hui dans les gauches, dans un dialogue avec Marx, dont l’individualisme tranche avec nombre de discours « marxistes » (9), comme avec les pensées critiques contemporaines (Michel Foucault, Pierre Bourdieu, Cornelius Castoriadis, Jacques Rancière, Judith Butler, etc.) (10).

Pourquoi la Fédération Anarchiste ? Elle incarne particulièrement bien, dans son histoire, la critique du double point aveugle des gauches traditionnelles : la concentration politique des pouvoirs et la minoration des individualités. Quelques extraits de ses « Principes de base » l’expriment clairement :
« Les anarchistes luttent pour une société libre, sans classe ni État (…) et l’abolition des frontières. (…) L’anarchisme est un objectif de société globale, un idéal, mais aussi les moyens pour y parvenir, ceux-ci étant basés sur les mêmes principes organisationnels et éthiques : fédéralisme et entraide. En tant qu’individus conscients de leur exploitation, les anarchistes entendent lutter avec tous les exploités contre tous les gouvernements, reconnaissant ainsi l’existence de la lutte des classes dont la finalité doit être l’instauration d’une société anarchiste. »
Et la FA reconnaît la place, dans un cadre organisé, des individus :
« la Fédération anarchiste reconnaît :
* La possibilité et la nécessité de l’existence de toutes les tendances libertaires au sein de l’organisation.
* L’autonomie de chaque groupe.
* La responsabilité personnelle et non collective. (…)
* La révocabilité des secrétaires et mandatés. »
Á mon sens, les courants « communistes libertaires » sont encore trop pris dans les effets du « logiciel collectiviste ». Cela ne signifie pas que l’on ne trouve pas de pratiques et de réflexions intéressantes, à Alternative Libertaire (11) ou à l’Organisation Communiste Libertaire (12). Mais si « le communisme » se révélait clairement, en ce début de XXIe siècle, tout à la fois la maladie infantile et sénile de l’émancipation sociale ? Car la référence « communiste » tend à aplatir la prise en compte des individualités, y compris dans la mouvance anarchiste. Maurice Merleau-Ponty voyait en 1955 dans « l’a-communisme » une « condition stricte de la connaissance de l’U.R.S.S. » (13). L’a-communisme est peut-être devenu aujourd’hui une des conditions principales pour repenser l’émancipation.

On trouve justement chez Proudhon une critique du « communisme », réévaluant la place de l’individu dans des relations de réciprocité et de solidarité, différente de l’individualisme égocentré d’un Stirner, par exemple (14). Plus récemment, le philosophe Emmanuel Levinas a formulé une mise en tension fine de l’espace commun et de la singularité personnelle, du collectif et de l’individuel, sans hégémonie de l’un sur l’autre : « il faut comparer l’incomparable » (15). Comparer, au sens politique de constituer un espace commun, du commensurable, avec des institutions collectives, des services publics, des règles et des critères de répartition plus juste des ressources, etc. Et l’incomparable ? Pour Levinas, le caractère incommensurable, singulier, du visage d’autrui. Cette tension entre solidarité et individualité est au cœur de ce que j’ai appelé avec quelques-uns social-démocratie libertaire (16). Dans une telle perspective de reformulation des relations entre l’individuel et le collectif, la Fédération Anarchiste porte une actualité dont elle n’est pas toujours suffisamment consciente.

Certes, je ne vais pas présenter mon long itinéraire me menant du PS à la FA comme une autoroute menant à des jours glorieux ! Je suis conscient de ma marginalisation dans l’espace politique. C’est pourquoi je parle de repli exploratoire - explorer une réévaluation et une réactualisation d’idées libertaires comme de pratiques alternatives anarchistes – dans un état des forces politiques au sein duquel j’ai du mal à déceler les possibilités réellement novatrices. Je ne pense donc pas que c’est à partir de la seule FA que l’on pourra reconstituer une politique d’émancipation au XXIe siècle. J’ai plutôt en tête un espace pluraliste encore à venir dans lequel les composantes libertaires devront être importantes et non plus marginales.

Sur ces chemins incertains, je me méfie du gauchisme, entendu comme l’affichage d’une posture et le maniement d’une rhétorique qui font passer la logique identitaire avant les effets émancipateurs sur la réalité. J’ai été vacciné très tôt contre un tel gauchisme grâce au CERES. Une phrase de 1973 de Didier Motchane m’accompagne encore :
« Dans les grandes banlieues de la révolution, l’illusion lyrique n’est séparée de l’illusion comique que par un terrain vague : la confusion politique, la gesticulation idéologique s’y donnent libre cours » (17).
C’est peu su, car les préjugés sont tenaces, mais à la FA certains combattent aussi ce type de gauchisme. Ainsi dans un texte intitulé « La convergence concrète avec les anarchistes », des militants de la FA ont récemment appelé à « dépasser le clivage léniniste réforme ou révolution » (18). Non pas pour abandonner l’horizon de la révolution sociale, mais pour assouplir, de manière plus pragmatique, la vision des processus y menant. Cela rejoint, sous des formes différentes, les efforts contemporains pour mieux lier anarchisme et pragmatisme, chez Irène Pereira (11) ou chez Michel Onfray (19).
Mais pourquoi entrer de nouveau dans une organisation politique, alors que des choses fort intéressantes se font et s’écrivent du côté des anarchistes indépendants, avec mes amis Daniel Colson (20) et Pierre Bance (21) ou dans la revue Réfractions. Recherches et expressions anarchistes ? Parce que je ne me reconnais pas dans le discours anti-organisations de certains composantes des mouvements d’indignés aujourd’hui. Parce que je ne crois pas au seul spontanéisme. Parce que je crois en la nécessité d’une mémoire critique du passé et à un cadre organisateur dotant l’action d’une stabilité relative. Parce que j’espère encore dans la tension entre organisations politiques et auto-émancipation.
Post-scriptum pour les fondus du ressentiment sur Mediapart :

Pour ceux qui seraient tentés de déverser, une fois de plus, leur bile sur ce blog, je recommande un passage préalable par le sas de décontamination constitué par le précédent billet : « Du ressentiment : des trolls de Mediapart à la société française », 1er février 2013.

Je pense en particulier à :
- Ceux qui ne pourraient pas contrôler des poussées spontanées d’aigreur contre mes supposées turpitudes libertaires de « bourgeois » ou de « petit-bourgeois ». Ces montées irrépressibles d’acide sont d’ailleurs souvent le fait de « bourgeois » ou de « petits-bourgeois » eux-mêmes qui masquent le conformisme social de leurs modes de vie effectifs derrière l’anonymat d’identifiants abscons et une rhétorique ronflante qui les institue en porte-parole imaginaires de « la classe ouvrière » et du « Peuple ». Quand il s’agit d’anarchie, ils peuvent d’ailleurs circuler automatiquement sur les rails constitués, dans un moment de faiblesse théorique, par le bourgeois Marx contre le prolo Proudhon : « petit-bourgeois ballotté entre le capital et le travail » (Misère de la philosophie. Réponse à la philosophie de la misère de M. Proudhon, 1847)…
- Et à ceux dont l’activité « militante » se réduit principalement à l’usage narcissique de la souris et du clavier, et qui grappillent d’éphémères jouissances au final frustrantes dans la désignation à la vindicte publique de « traîtres » et de « vendus » parmi les militants non virtuels. Je conseille à ces cyber-procureurs d’éteindre, un moment du moins, leurs ordinateurs et de contempler silencieusement « l’Idée du communisme » dans leur jardin à la française en sirotant une tisane made in China.

Notes :
(1) Voir Philippe Corcuff et Willy Pelletier : « De la LCR au "NPA". L’expérience sociale-démocrate libertaire comme analyseur d’enjeux actuels », Critique Communiste (revue de la LCR), n°187, juin 2008 ; repris sur Mediapart, 13 août 2008.
(2) Sur certains apports et limites de l’expérience du CERES, voir P. Corcuff : « Nouveau Parti Anticapitaliste : actualité du CERES » (version intégrale d’une tribune publiée dans Le Monde, 7 février 2009), Mediapart, 10 février 2009.
(3) Voir P. Corcuff : « Du ressentiment : des trolls de Mediapart à la société française », Mediapart, 1er février 2013.
(4) Voir P. Corcuff : « Bravo Poutou ! Menace Le Pen. Voter Hollande. Impasse Mélenchon. Avenir libertaire ? », Mediapart, 30 avril 2012.
(5) Voir Daniel Bensaïd, Une radicalité joyeusement mélancolique. Textes (1992-2006), textes réunis et commentés par P. Corcuff, Paris, éditions Textuel, 2010, et le nouveau site qui lui est consacré : http://danielbensaid.org/ .
(6) Voir P. Corcuff, « Rosa Luxemburg (1871-1919) : des contradictions de l’action émancipatrice aux rivages de l’intimité » (1e éd. dans la revue ContreTemps, n°6, février 2003), Mediapart, 22 septembre 2009.
(7) Dans Léon Trotsky : Nos tâches politiques (1e éd. : 1904), Paris, Denoël-Gonthier, collection « Bibliothèque Médiations », disponible sur internet ici.
(8) Voir P. Corcuff : « Actualité de la philosophie politique de Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) » : « I - Politique et raison critique », 5 janvier 2009 et « II - Politique et histoire », 7 janvier 2009.
(9) Voir P. Corcuff, Marx XXIe siècle. Textes commentés, Paris, Textuel, collection « Petite Encyclopédie Critique », 2012.
(10) Voir P. Corcuff, Où est passée la critique sociale ? Penser le global au croisement des savoirs, Paris, La Découverte, collection « Bibliothèque du MAUSS », 2012.
(11) Au sein d’AL, voir Irène Pereira, Peut-on être radical et pragmatique ?, 2009 et L’anarchisme dans les textes. Anthologie libertaire, 2011, publiés tous deux à Paris, aux éditions Textuel, collection « Petite Encyclopédie critique ».
(12) Voir dans le journal de l’OCL, Courant Alternatif : « Autour de Jacques Rancière : Éléments d’une politique d’émancipation », par J. F., n°192, été 2009 et « Ni le mouvement social ni le pouvoir populaire ne règlent la question politique », par J. F. et Philippe, n°195, décembre 2009, pp.20-23.
(13) Dans Maurice Merleau-Ponty, Les Aventures de la dialectique (1e éd. : 1955), Paris, Gallimard, collection « Folio Essais », 2000, p.311.
(14) Voir P. Corcuff : La question individualiste. Stirner, Marx, Durkheim , Proudhon, Latresne (près Bordeaux), Le Bord de l’eau, 2003, et Philippe Chanial : La délicate essence du socialisme. L’association, l’individu & la République, Lormont (près Bordeaux), Le Bord de l’eau, 2009.
(15) Emmanuel Levinas : Ethique et infini (1e éd. : 1982), dialogues avec Philippe Nemo, Paris, Le Livre de Proche, 1990, p.84.
(16) Voir notamment P. Corcuff : « Galaxie altermondialiste et émancipation au XXIe siècle : l’hypothèse d’une social-démocratie libertaire » (communication au Forum Social Européen d’Ivry-sur-Seine, 13 novembre 2003), Mediapart, 20 août 2008.
(17) Dans Didier Motchane : Clefs pour le socialisme, Paris, Seghers, 1973, p.198.
(18) « La convergence concrète des anarchistes », Le Monde Libertaire, n°1641, 23 juin-6 juillet 2011.
(19) Voir Michel Onfray : Le postanarchisme expliqué à ma grand-mère. Le Principe de Gulliver, Paris, Galilée, 2012 ; et, sur Mediapart, P. Corcuff : « Michel Onfray, postanarchiste iconoclaste. Ou l’actualité d’un pragmatisme libertaire », 10 décembre 2012, et Laurent Galley : « Michel Onfray et le Postanarchisme », 28 janvier 2013.
(20) Voir Daniel Colson, Petit lexique philosophique de l’anarchisme. De Proudhon à Deleuze, Paris, Le Livre de Poche, 2001.
(21) Voir les analyses avancées par Pierre Bance d’un point de vue anarcho-syndicaliste quant à une série de pensées critiques contemporaines sur le site AutreFutur.org.
http://blogs.mediapart.fr/blog/phil...