La gauche a-t-elle trahi le peuple?
Le philosophe Jean-Claude Michéa et l'historien Jacques Julliard publient un dialogue passionnant sur les causes du divorce entre la gauche et les classes populaires. Extraits.
"Ces 'beaufs', 'Deschiens' et autres 'Dupont-Lajoie' dont la dénonciation quotidienne fait aujourd'hui le délice des nouvelles classes moyennes élevées au biberon de Canal+."
Il y a quelques années encore ces deux hommes n'auraient pas pu se rencontrer. Jacques Julliard serait resté pour Jean-Claude Michéa l'un des intellectuels organiques d'un socialisme renégat, le représentant d'une caste médiatique parisienne chargée de tous les maux, le genre d'incarnation dont l'oeuvre «michéenne» entière appelle en somme à se méfier en toutes circonstances.
Ce dernier, Michéa, sur le papier tout aussi peu engageant aux yeux de l'autre, serait demeuré pour Jacques Julliard un ombrageux philosophe montpelliérain, ancien membre du PC aux sympathies prolétariennes obsédantes, chantre d'une classe ouvrière balancée par-dessus bord par le socialisme contemporain, figure à la fois très séduisante et pour lui possiblement suspecte d'un populisme intellectuel voué à une probable expansion en ces temps troublés.
Mais la tonalité de l'époque a bien changé, depuis la crise financière de 2008. Le temps des périls est revenu, et les circonstances autorisent chacun à surmonter ses propres caricatures, le commandent même, et aussi à rompre avec le «narcissisme des petites différences» dont parlait Freud. Face à la tragédie actuelle de la politique française, la montée en puissance d'un Front national que rien ne semble devoir enrayer, ces deux hommes-là ont eu envie de se parler, de s'entendre. Leur échange de lettres, aujourd'hui publié sous le titre «la Gauche et le Peuple», restera comme un document important pour quiconque cherche à comprendre avec une véritable profondeur de champ la situation historique dans laquelle nous nous trouvons.
Concernant la rupture de l'alliance entre les classes populaires et la gauche dont procède aujourd'hui le succès frontiste, il y a deux explications actuellement en circulation dans l'espace public. Selon l'une, des populations lumpénisées, de plus en plus racistes en leur tréfonds, auraient fait leurs adieux à la gauche et à ses valeurs supposées d'ouverture sinon de générosité. Tirant les conclusions de ce constat avec une radicalité qu'on n'avait pas observée au PS depuis longtemps, le think tank socialiste Terra Nova ira en 2011 jusqu'à préconiser de renoncer électoralement à ces «intouchables» lepénisés. Ainsi les fameux «petits Blancs» se virent-ils décrétés menaçants pour la pureté axiologique d'une gauche qui chercherait à leur courir après.
Selon l'autre version du drame, c'est à l'inverse la gauche solférinienne qui aurait largué le peuple, à partir de 1983 notamment, et cela au profit d'une alliance toujours plus étroite avec une bourgeoisie toujours plus libérale et d'une soumission toujours plus scandaleuse à un capitalisme financiarisé toujours plus vorace. La politique de François Hollande, vu en serviteur docile du Medef, en serait aujourd'hui à la fois l'apothéose et le stade terminal.
C'est évidemment à cette dernière version, partagée aussi bien par la gauche radicale que par de nouvelles figures intellectuelles comme le géographe Christophe Guilluy, observateur de la relégation de ces classes populaires, que l'on pourrait rattacher plus ou moins celle de Jean-Claude Michéa. Tout l'intérêt et toute la puissance du livre que ce dernier publie aujourd'hui avec Jacques Julliard résident pourtant dans le fait de creuser très en amont de ce constat de surface, afin de voir s'il est fatal désormais que les pauvres votent à droite, pour paraphraser le titre du livre écrit par le sociologue américain Thomas Frank au sujet de l'Etat du Kansas.
Le terrible secret de l'histoire de la gauche aux yeux de Michéa, c'est que l'alliance entre le peuple et le camp bourgeois du Progrès ne fut qu'une affaire de circonstances, contre-nature à bien des égards, et que ce à quoi nous assistons aujourd'hui, c'est à leur inéluctable séparation. L'acte de naissance de cette gauche moderne, c'est en 1899 que le philosophe le situe, quand, sous la menace des antidreyfusards, un gouvernement se constituera, formé à la fois de socialistes ouvriers et de fusilleurs de communards.
Les ouvriers socialistes allaient apprendre très vite que, sitôt le péril réactionnaire écarté, écrit Michéa,sitôt dissipée l'euphorie initiale de la victoire commune, la bourgeoisie républicaine ne manquerait pratiquement jamais de se retourner contre eux.
C'est ce même scénario dont nous ne cesserions de vivre la répétition morne, depuis le massacre de Fourmies en 1891, où l'on tira sur des ouvriers qui réclamaient pacifiquement la semaine de huit heures, jusqu'à la trahison des promesses faites à Florange en 2012. Hier le front de gauche dreyfusard; aujourd'hui le front républicain antilepéniste. Mais dans les deux cas: une gauche bourgeoise qui ne cesserait de duper le peuple, usant du «vote utile» pour capter son suffrage et se rire de lui à peine parvenue au pouvoir.
A cette vision pessimiste du divorce, Jacques Julliard, ancien membre du bureau national de la CFDT, et réformiste par tempérament, ne peut évidemment se résoudre. Pour lui, l'alliance du peuple et de la bourgeoisie progressiste est au contraire «le grand fait politique et social du XIXe siècle». C'est la montée en puissance du bolchevisme au XXe siècle qui brisera cette union. Et aujourd'hui, c'est la capitulation de la gauche face au capitalisme financiarisé qui rendra très difficile pour celle-ci de renouer avec le peuple.
Mais, pour Julliard, c'est bien d'un nouveau pacte entre les couches populaires et la bourgeoisie démocrate que nous avons plus que jamais besoin aujourd'hui. Lui seul permettrait de résister à la marée montante d'un FN qui, pas davantage que les autres partis, ne souhaite que le peuple reprenne ses affaires en main, mais cherche comme les autres à l'escamoter au profit d'un chef charismatique - une «cheffe» en l'occurrence - et des intérêts de sa clique hétéroclite.
Reprochant à Michéa de placer des espoirs déraisonnables en un peuple idéalisé, envisagé en réservoir ultime de la résistance aux puissances du capital, Julliard préfère esquisser les pistes concrètes de réformes susceptibles de rendre aux classes populaires les clés de la maison France. Ainsi l'ancien membre de la Fondation Saint-Simon plaide-t-il ici pour unenationalisation du système de crédit, et pour une refonte démocratique du système représentatif qui passerait par la non-rééligibilité des élus, afin d'éviter la formation d'une classe de politiques coupée du corps électoral.
Si Michéa le suit souvent, il continue de miser sur la résurrection d'un socialisme originel seul susceptible de défendre les intérêts ouvriers piétinés comme jamais par la gauche. Ces intérêts-là, ni le Front de Gauche ni le NPA ne les portent actuellement - ceux-ci étant aux yeux deMichéa des partis de petits-bourgeois rebellocrates et de fonctionnaires «émancipés». C'est au peuple lui-même qu'il appartient désormais à ses yeux de recréer entièrement les conditions d'existence d'un projet socialiste. Un projet «plus actuel que jamais», maintenant que les ravages du capitalisme industriel et financier qui pointaient au XIXe siècle, sont au XXIe entièrement développés et désormais connus de tous.
A l'issue de ce dialogue, les différends subsistent entre les deux hommes, parfois même insurmontables. Mais toute une année de correspondance durant, et avec une bonne foi intellectuelle rarement observée, ceux-ci auront renoncé au confort de rejouer entre eux la guerre insurmontable entre les prétendues deux gauches: la réformiste et l'extrémiste, la pragmatique et la folle. Tel n'est pas le moindre mérite de ce livre en effet que d'esquisser des réformes qui soient à la fois réalistes et tout à fait radicales pour réenchanter une gauche tragiquement repliée sur le seul objectif de gérer avec zèle le capitalisme, tandis que les ennemis les plus décidés de la démocratie sont aujourd'hui aux portes du pouvoir.
Aude Lancelin
EXTRAIT 1. L'imposture populiste
Jacques Julliard Pour vous, Jean-Claude Michéa, les choses sont simples. Que le mot «populiste» soit devenu une injure marque assez le degré d'exclusion et de mépris dans lequel les classes dirigeantes tiennent le peuple. Comment en effet ne pas souscrire à ce principe que vous empruntez à Machiavel et qui selon vous est le critère même du populisme? Je cite: «On ne peut honnêtement et sans faire tort à autrui satisfaire les Grands, mais avec le Peuple, on le peut: car le désir du Peuple est plus honnête que celui des Grands, ces derniers veulent opprimer, celui-là ne pas être opprimé.»
Mille fois d'accord. Ce qui est décrit ici c'est le réflexe de défense de tout corps opprimé à l'égard de son oppresseur. Le pouvoir en soi est une chose mauvaise, et quand bien même on s'y résigne comme à un mal nécessaire, il est indispensable de lui résister à tout moment. C'est la philosophiepolitique d'Alain, qui n'a rien d'un anarchiste, encore moins d'un révolutionnaire, mais qui exprime la pensée du «citoyen contre les pouvoirs».
Jacques Julliard, historien, éditorialiste à «Marianne». Il a notamment publié «les Gauches françaises» (Flammarion, 2012).
Le peuple n'est pas vertueux parce qu'il est peuple, mais parce qu'il est opprimé. Et si l'on ne sait pas pourquoi à un moment donné il faut résister aux Grands, eux-mêmes le savent bien. Le populisme du peuple n'est donc que la réplique à l'élitisme des élites. Ce n'est pas par un effet de classe, c'est un effet de structure. C'est le réflexe de l'Irlandais qui débarquant dans une île inconnue demande à un naturel s'il y a un gouvernement dans cette île. Sur la réponse positive de celui-ci, il décrète: «Alors, je suis contre !» Tel est ce que l'on pourrait appeler le populisme de défense. Il est le fait des couches populaires elles-mêmes.
Il en va tout autrement du populisme des politiques et des intellectuels qui entendent parler au nom du peuple et constituer celui-ci en une sorte de Golem dont ils auraient seuls le maniement. Ils présupposent d'abord que le peuple est un et non multiple. Rien n'est moins sûr, surtout en l'absence d'un élément unificateur, comme nous venons de le voir. Il implique que ses intérêts soient concordants et jamais contradictoires; que les classes moyennes, par exemple, aient les mêmes intérêts que les classes salariées, ce qui n'est guère vraisemblable. Qu'il suffira en somme d'abolir l'odieuse domination des classes supérieures, et le prélèvement qu'elles opèrent à tous les niveaux de l'édifice social et dans toutes les fonctions de la vie collective, pour que la prospérité s'installe. Ce populisme-là est la philosophie implicite et même souvent explicite de la Révolution française, version 1793. Il s'agit d'éradiquer la domination d'une poignée d'exploiteurs, de «méchants» - c'est le vocabulaire de Robespierre -, pour faire advenir le règne du Bien.
Et de ce populisme-là, je me méfie comme de la peste. Sous prétexte de démocratie directe - c'est une des prétentions du populisme que de donner la parole au peuple sans intermédiaire -, il pratique en réalité le plus sournois des substitutionnismes. Le peuple est en vérité menacé en permanence par deux espèces de ce genre. L'un est le substitutionnisme parlementaire dans lequel l'assemblée élue prend la place du peuple électeur et usurpe sa souveraineté.
C'est le fait des systèmes représentatifs, dont le grand juriste Carré de Malberg a bien dénoncé le mécanisme. Le mandat reçu le jour de l'élection opère pratiquement le transfert de souveraineté du peuple électeur à l'assemblée élue. C'est la pratique la plus habituelle des démocraties libérales. Mais cela ne doit pas nous rendre aveugles aux mécanismes des autres substitutionnismes, d'essence dictatoriale, qui transfèrent la souveraineté du peuple à ses représentants autoproclamés: parti ou leader charismatique.
Extrait 2. François Hollande tombe le masque
Jean-Claude Michéa Le défaut majeur de toutes les politiques dites de «front républicain» (quelle que soit, encore une fois, leur légitimité évidente chaque fois qu'une situation historique précise - comme par exemple lors de l'affaire Dreyfus ou de l'occupation nazie - exige réellement de parer au plus pressé), c'est qu'elles tendent toujours, en effet, à favoriser la subordination progressive de la lutte contre la domination du capital aux exigences désormais tenues pour prioritaires de la lutte contre les seules forces réactionnaires.
Jean-Claude Michéa, philosophe, est notamment l'auteur d'«Impasse Adam Smith» (Climats, 2002) et des «Mystères de la gauche» (Climats, 2013).
Si l'on ajoute qu'à partir des années 1930 le brutal essor du fascisme et du national- socialisme allait faire surgir en Europe une menace idéologiquement inédite contre les libertés «républicaines» les plus précieuses (menace autrement plus radicale que celle qu'incarnait encore la vieille droite cléricale et monarchiste), on comprend alors mieux le long processus historique qui devait peu à peu conduire - dès que d'autres facteurs entreraient en jeu (crise, dans les années 1970, de l'accumulation keynésienne du capital, développement des «nouvelles classes moyennes» et d'une culture correspondante de la consommation, déclin de l'empire «soviétique», etc.) - ce qui subsistait encore du mouvement ouvrier autonome de l'époque de Marx, de Proudhon ou de Rosa Luxemburg à renier, l'un après l'autre, tous les principes du vieil héritage socialiste.
Jusqu'au jour où un François Hollande pourrait enfin tirer officiellement la leçon ultime de ce processus historique en proclamant triomphalement (dans son «Devoirs de vérité», livre publié - ironie de l'histoire - quelques mois seulement avant la crise des subprimes et la chute correspondante de Lehman Brothers):
C'est François Mitterrand - avec Pierre Bérégovoy - qui a déréglementé l'économie française et l'a largement ouverte à toutes les formes de concurrence. C'est Jacques Delors qui a été, à Paris comme à Bruxelles, l'un des bâtisseurs de l'Europe monétaire avec les évolutions qu'elle impliquait sur le plan des politiques macroéconomiques. C'est Lionel Jospin qui a engagé les regroupements industriels les plus innovants, quitte à ouvrir le capital d'entreprises publiques. Cessons donc de revêtir des oripeaux idéologiques qui ne trompent personne.
Extrait 3. Le peuple, entre Gavroche et Deschiens
J.-C. Michéa Je voudrais cependant revenir quelques instants sur un point historique, curieusement méconnu, qui me semble de nature à éclairer certaines des formes actuelles de ce mépris du peuple qui est devenu, depuis plus de trente ans, la marque de fabrique de la nouvelle intelligentsia de gauche. Jusqu'à une période récente, en effet, les membres de l'élite dirigeante, le plus souvent formés à l'école patriotique de Gambetta et de Clemenceau, s'appuyaient encore massivement sur une image du peuple et de la nation qui, pour l'essentiel, coïncidait avec celle de Jules Michelet, de Victor Hugo ou de Charles Péguy.
Les choses n'ont donc véritablement commencé à changer que lorsque le pouvoir gaulliste - sous l'influence décisive de son aile technocratique - allait décider, au début des années 1960, de mettre en oeuvre son plan de «modernisation» intégrale de la société française. C'est dans ce contexte particulier que le processus parallèle de la décolonisation en est venu à jouer un rôle tout à fait imprévu. On oublie souvent, en effet, que la gestion de l'empire colonial français s'appuyait en permanence sur le travail «pédagogique» d'une multitude de hauts fonctionnaires chargés d'inculquer aux différentes populations indigènes la supériorité de la «civilisation occidentale» et de «l'esprit moderne».
Or, une fois cet empire colonial dissous (pour l'essentiel), que sont devenus ces experts en civilisation? Kristin Ross est l'une des rares historiennes à avoir rappelé qu'une partie notable d'entre eux ont aussitôt été invités à mettre les «compétences» qu'ils avaient acquises auprès de ces populations indigènes au service du nouveau chantier gaullien de la «modernisation» économique, sociale et culturelle.
C'est donc à partir de ce moment précis que le peuple français - jusque-là considéré, du moins en paroles, comme le seul dépositaire légitime de la souveraineté nationale - a commencé à être perçu par les différents décideurs et technocrates comme une simple population «sous-développée» parmi d'autres. Population sur laquelle les nouveaux «experts» de la modernisation (bientôt rejoints par ceux de la Communauté européenne) allaient pouvoir expérimenter librement - et avec toute la condescendance d'usage - les techniques de contrôle et de persuasion jusqu'ici appliquées aux seules sociétés soumises au joug colonial.
Il était dès lors inévitable que le rapport entre les nouvelles élites dirigeantes - elles-mêmes de plus en plus convaincues que le cadre étroitement national avait fait son temps - et la population ordinaire, désormais comprise comme le dernier rempart de la mentalité «archaïque», de la «xénophobie» et du «repli sur soi», commence à changer radicalement (les campagnes de propagande médiatique pour la ratification des différents traités européens sont, de ce point de vue, tout à fait symptomatiques).
Et le temps n'était donc plus très loin où Mandrin, Gavroche et Jacquou le Croquant devraient logiquement céder la place à ces «beaufs», «Deschiens» et autres «Dupont-Lajoie» dont la dénonciation quotidienne fait aujourd'hui le délice des nouvelles classes moyennes élevées au biberon de Canal+ (le film de Marcel Ophuls - « le Chagrin et la Pitié » ayant joué un rôle décisif dans cette nouvelle représentation élitiste des gens ordinaires).
C'est d'abord cette nouvelle donne idéologique qui explique, selon moi, la plupart des difficultés qui sont devenues aujourd'hui les nôtres chaque fois qu'il s'agit de rendre aux classes populaires leur ancienne dignité philosophique. La diabolisation récente du terme, jadis glorieux, de «populisme» par ce que «les Inrockuptibles» ont nommé le «parti de l'intelligence» serait elle-même incompréhensible sans cette nouvelle donne idéologique.
Extrait 4. Les bobos et les gogos
J. Julliard Pour beaucoup de nos modernes docteurs, la question est de savoir à quelles conditions la gauche retrouvera la confiance du peuple. Et la réponse est immuable: à condition qu'elle cesse de trahir ses promesses et ses électeurs, que la gauche soit vraiment de gauche, que ce soit une gauche de gauche, etc. On connaît la chanson, on ne s'en lasse pas; on suce le mot comme un bonbon acidulé, on le répète avec emphase, avec satisfaction, avec délices.
Au passage, il faudrait bien se demander à quoi correspond cette tendance naturelle à trahir qui serait celle de la social-démocratie depuis ses origines, et qui n'a pas échappé à la vigilance sans défaut de nos docteurs trotskistes. Est-ce une tendance innée, un ADN particulier, une tare originelle? Il en faut moins aujourd'hui pour se faire condamner par les tribunaux antiracistes qui pullulent sur les décombres de nos idéologies défuntes.
Mais à supposer que cela soit vrai, qu'il y ait en somme une nature sociale-démocrate comme il y aurait une nature humaine - je suis sûr que vous n'aimerez pas cette idée -, il resterait à se demander pourquoi le peuple, le peuple tout court qui, lui, est vraiment de gauche, qui est la gauche faite réalité - je n'insiste pas -, pourquoi ce peuple donc choisit invariablement de préférence les prétendus faux derches de la social-démocratie plutôt que ses prétendus vrais serviteurs, les ex-maoïstes, les toujours trotskistes, les alter ceci et les alter cela, les écolos révolutionnaires, tous les officiers, officiers supérieurs surtout, généraux et maréchaux de cette armée sans troupes que l'on appelle le peuple de gauche?
A cette redoutable question, à cette question qui est à la philosophie de gauche ce que la preuve ontologique est à la philosophie médiévale, il y a en réalité deux réponses: celle des bobos, qui pensent que le peuple est en train de trahir la gauche, et celle des gogos, qui pensent que la gauche est en train de trahir le peuple. Les premiers croient que le peuple est raciste parce qu'il est naturellement réactionnaire; les seconds que ce peuple est continuellement trompé parce qu'il est naturellement trompable. Les premiers pensent qu'il faut se passer du peuple; les seconds qu'il faut en changer.
Aude Lancelin
La gauche et le peuple, par Jacques Julliard et Jean-Claude Michéa,
Flammarion, 320 p., 19,90 euros. A paraître le 1er octobre.
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